C’est un chagrin bien musical
De le voir s’éloigner, ce petit diable ingrat
Il frétillait de joie en arrivant chez moi.
Il frétille de joie en suivant son grand-père
Qui charrie le grand sac rempli de ses affaires.
« Ah, je peux sauter sur le lit, dis-moi ?
‑ Non, mon petit bonhomme. Juste des cabrioles.
‑ C’est quoi des cabrioles ? ‑ Ce sont des galipettes.
Arrondis donc le dos. Ta nuque est un peu raide.
Demain, tu te rappelles ? Nous irons au guignol. »
Deux jours ainsi se passent. Il n’y a pas école
Et chacun se relaie, car les parents travaillent.
De la neige est tombée. On a fait des glissades
Et au parc Montsouris il a vu la montagne.
Quand le grand-père arrive, il termine sa sieste.
Ses yeux sont tout bouffis. « Tu veux un jus d’orange ? »
On a perdu un gant. Bientôt le petit ange
Est mû par un ressort, et, réveillé des morts,
File vers la voiture sans demander son reste.
« Tu me fais un baiser ? » Mais sans doute ce geste
n’est pas d’actualité. C’est un petit garçon
qui fonce en avant toute regarde devant. En effet, à quatre ans,
tout est toujours devant, rien n’est jamais derrière,
et demain est plus beau, la chose est manifeste
Or moi je suis derrière. Je suis celle qui reste.
J’en ai pris l’habitude. J’entrouvre la croisée.
C’est un geste bien ancestral
De me pencher à la fenêtre et de crier : Bastien !
En agitant le bras. Ma main est une étoile
Il détale en riant. Tout l’univers s’éteint.
L’univers a cessé de briller dans ce point.
Quatre ans ! Et tout en lui qui s’ouvre immensément.
Tout ce qu’il fait, il le fait complètement
Mais jamais très longtemps. Il passe du coq à l’âne.
Il est le coq, moi l’âne. Je lui lis des histoires.
Je le conduis au parc. Je marche dans ses traces
En agitant les bras. Le voilà qui dévale.
« Pas si vite ! Reviens ! » Je deviens sa féale.
Ses yeux rient constamment, comme un lâcher d’étoiles.
Je l’ai gardé deux jours, et c’est toute une vie.
Ce qu’on fait avec lui, on le fait cent pour cent.
On n’est pas à côté. On est en plein dedans.
On n’est pas autre part. On ne fait pas semblant.
C’est un chagrin bien musical
De le voir s’éloigner, ce petit animal.
