16 mai 1999
Aujourd’hui, anniversaire de Rémy et Olga. Rémy a 36 ans (déjà !) et Olga 40…. “Je ne me suis jamais sentie aussi jeune”, m’a-t-elle dit jeudi (Ascension).
Clara est repartie de la rue Boussingault vendredi matin : finalement, si je ne suis pas allée à Ambax (avec Marijo, Hubert et Véro) à cause d’elle, c’était mal calculé. Je ne l’ai vue que deux soirs et deux matins. Aujourd’hui, elle va chez Guéna qui loge chez ses parents au Vésinet en attendant de louer un appartement, samedi, elle est chez son père.
“Je ne pense pas que je repasserai, j’irai directement du Vésinet à la Gare du Nord…”
En fait, si je ne suis pas partie, la vraie raison, c’est ma peur de partir. Des années que je passe les quatre jours de l’Ascension à Paris à “glander”, sous prétexte que la semaine suivante je file rituellement cinq jours à la Pentecôte à l’île d’Yeu, pour ouvrir la maison, faucher l’herbe, faire mon entrée officielle dans la belle saison, avec cette épreuve un peu initiatique que je m’impose : la maison hostile, l’herbe haute, venimeuse et mouillée, le temps pas excellent, la solitude… Je me rappelle encore l’année dernière mon arrivée du soir, pas de taxi, route de côte à pied, arrivée, difficulté de me frayer dans les herbes, vélos dégonflés, bassines dans la cheminée pleines d’eau noire et de lézards morts, moisi à nettoyer, traces de souris à décrotter… Mais aussi, émerveillement devant le buisson de chien de mer et les iléanas qui avaient si prodigieusement prospéré.
…. Association d’idée subite : l’interview de Le Clézio vendredi soir à Bouillon de culture. Mon effroi d’entendre qu’il a été pressenti pour l’Académie française. C’est mon jumeau, né en 40. Entre sa carrière et la mienne, quelle différence ! Pourtant, il ne semble pas avoir fait de concessions aux mondanités littéraires, au Tout-Paris. Sans doute plutôt a-t-il eu le courage de ses bizarreries ? Pivot flagorneur comme pas deux et pourtant l’air sincère… et même sincèrement sincère dans son numéro de “Ravi” de la crèche devant un si beau petit Jésus de presque soixante berges…. Il ose lui jeter des fleurs sur son physique, sa beauté… Il revient deux fois à la charge, parle de la jalousie des autres, des miroirs. Et Le Clézio qui répond doucement qu’il n’aime pas les miroirs. Comme Pivot le titille (“mais qu’est-ce que vous cherchez ?”), il finit par dire : “ Le jour où on rencontre son double, on n’a plus qu’à mourir” (l’idée me vient évidemment que ce double, ce pourrait bien être moi).
(Idée d’une folie à faire : lui écrire pour nouer une correspondance avec lui, mais sans jamais le rencontrer.)
Bon, fin de mon association d’idées.
Donc, ces quatre jours de l’Ascension, plutôt que de partir, je passe mon temps à classer des photos, fais un album consacré aux photos de jeunesse de maman (“Maman, quelle femme es-tu ?”) et qui s’arrête en 58, en attendant le second volet, l’album de la vieillesse (de 58 à 99 ?).
Encore une qui ne voulait pas passer l’an 2000, que la seule idée de passer (seule) le réveillon de l’an 2000 rendait complètement malade…
Mercredi soir, Clara me demande où sont passées les photos de son enfance.
“Tu te rappelles ? Au Vésinet, il y avait un tiroir de la commode blanche qui était rempli de photos…
— Ah bon ? Aucun souvenir…”
J’ai beau me creuser la cervelle, aucune idée de l’endroit où sont passées les vieilles photos du Vésinet.
“Peut-être dans un carton à la cave ?”
Soudain, je me souviens vaguement d’un carton par terre contre mon bureau, que je vois presque tous les jours, mais comme s’il n’existait pas.
“Ça doit être ça…
— Comment ça se fait qu’il y ait si peu de photos de nous petits ?” demande Clara.
Je me perds en supputations.
“Quand ton père est parti, il a pris l’appareil-photo…. lui, il doit en avoir, des photos.”
Il l’a emporté, et ensuite, il est venu démonter le labo photo dans la cave, malgré mes protestations.
“Ensuite, je n’ai plus eu d’appareil-photo…. Plus tard, oui, quand j’ai échangé le piano contre le Mamiya de Frédéric… mais, entre les deux, il y a eu un trou. Je me rappelle aussi qu’un jour, j’ai décidé de prendre à nouveau des photos, pour célébrer la vie… Ça me manquait. Mais, à ce moment-là, vous étiez déjà des adolescents. Le trou, c’est vos huit à douze ans.”
En rangeant les photos récentes et en faisant des albums, je suis stupéfaite de voir que j’ai environ cent fois plus de photos de Shérane de 0 à 6 ans que de photos de l’enfance de Clara. C’est vraiment stupéfiant.
Faut-il dire merci à l’invention de l’appareil jetable ? Mais aussi, mes photos d’aujourd’hui sont un peu moins narcissiques que mes photos d’antan. S’il y a si peu de photos des enfants, c’est que toutes les photos étaient de moi (prises par Gilles, mais je dirigeais un peu la manœuvre). Aujourd’hui, il y en a surtout pour Shérane ! ou pour les scènes de l’île d’Yeu. Je devrais prendre un peu plus souvent mes amis (Baptiste, Annita, Cléa, Catherine et sa maison, Marijo…. Jeanne, j’en ai pas mal).
…Me revient une phrase de Claire-Marie alors que nous parlions d’ateliers d’écriture. C’était dans son studio, près de la rue du Louvre. Elle venait de quitter son mari, et je connaissais l’histoire de son mariage, du moins racontée par Jeanne et Marijo. Quelque chose m’est monté à la tête. J’ai parlé moi aussi de la façon dont je m’étais mariée. J’ai raconté comment maman lisait mon journal en cachette quand j’avais dix-sept ans, et ce qui s’en est suivi : je me suis retrouvée mariée dare-dare à Gilles à cause de ce qu’elle y avait lu (que Gilles me proposait de faire l’amour avec moi. “Et tu n’as même pas dix-sept ans !!” Je l’entends encore s’étrangler)… Et puis, pensant qu’on y était, j’ai raconté comment je m’étais retrouvée divorcée : parce que Gilles avait lu mon courrier avec Baptiste un été, un courrier qui disait clairement que…
Alors, Claire-Marie : “Je comprends que tu aies un problème avec l’écriture !!”
À méditer…
Quand je pense que je m’interroge bêtement sur le “pourquoi je n’arrive plus à écrire”…
Incroyables déclencheurs de pages de destinée ! Que j’ignorais.
Analogue à ‘La plaisanterie’, bravo. La vie est farceuse.
Au passage je découvre que je suis né comme conséquence d’une de ces plaisanteries, génial !
bisatous, bonne fête des mères
J
Oui, on peut sourire – après coup 😉
Sacrée fête, notre mère !