10 NOVEMBRE 2004. JE CHERCHE MA PETITE MUSIQUE

Je cherche ma petite musique, ai-je seriné sur tous les tons. Mais elle est là, enfouie, tapie dans mes papiers, ces poèmes que je retrouve au fond d’un petit placard. Je les avais oubliés. Car, à mesure que j’écris, j’oublie. Cela s’efface de ma mémoire, surtout si c’est chargé de vérité, et de simplicité. Je fuis la simplicité. Quand je relis les corrections manuscrites que j’ai apportées au texte dactylographié, je vois bien que j’ai voulu brouiller les pistes, noyer le lamento de contorsions littéraires pour faire surprenant et inattendu, et, surtout, pour qu’on n’y lise plus rien. Langage crypté. Comme si je ne voulais pas que quelqu’un me lise.

Ce quelqu’un, c’est quelqu’une  : qui fouillait mes tiroirs et lisait en douce mon journal d’adolescente. Maman, tu m’as traumatisée. Je reste écartelée entre le désir d’être lue et la volonté farouche de rester illisible.

«  Tu es très exaltée  », disait mon père. Comment le savait-il  ? Moi qui ne desserrais pas les lèvres à la maison  ? Je les imagine tous les deux, père et mère, penchés sur mon journal intime, aspirant mon intimité, mes pensées. Inquiets de mes aspirations, de mes fougues religieuses. «  Il faut la marier en vitesse  », devait dire ma mère. Le lisaient-ils ensemble  ? Chacun à leur tour  ? Ou bien ma mère faisait-elle un petit compte-rendu à mon père, que j’entends d’ici protester d’une voix faible  : «  Tu ne devrais pas lire son journal intime… C’est personnel… on ne doit pas…  » Mais il craquait. Comment résister au plaisir d’alimenter ses vieux os d’une sève d’adolescente  ?

Tout cela, bien sûr, purement imaginaire.

Je dois rendre justice à ma mère. C’est à moi que, bien plus tard, quatre-vingts ans passés, elle a donné les lettres que mon père et elle s’écrivirent dans leur jeunesse, et, à la mort de mon père, le journal de ma grand-mère écrit pendant l’Occupation. «  Tu l’as lu, ce journal  ?

  • Non, je ne l’ai pas lu  », m’a-t-elle dit. Ah bon  ? Elle lisait le journal de sa fille, mais pas le journal de sa mère  ?

  • (En fait, ma mémoire a flanché, ou tout reconstruit selon son scénario caché  : vérification faite, elle l’avait lu, le journal de sa mère. Mon scénario, c’est quoi  ?)

*

Quand je me relis, ce sont surtout les poèmes qui me plaisent. Moi, écrire des poèmes  ? Être poète ? Inextricable conflit. C’est se condamner à ne pas être publiée. Pourtant, je suis embarrassée avec le récit, le roman, tout ce qui se vend. Pas romancière pour un sou. Cette terrible continuité, ce fil à tirer, ce «  il était une fois  ».

Le temps, mon vieil ennemi.
Un poème, ça ne prend pas de temps.. Une page suffit.
On écrit très vite le mot «  fin  ».

*

Lamento. Petite musique.

Lamento, mais aussi fragments. Hiatus, césures, décrochements, juxtaposition de fragments et constellation de moments (cf. la «  parataxe  » selon Hölderlin  ?? vérifier ce dont il s’agit). Comme la musique, qui est le lieu éminent du moment. En musique, la répétition n’est pas répétitive, c’est un développement de variations. Variation-altération-reconnaissance d’autre chose  : on chemine du même au semblable, et du semblable à l’autre. Le moment musical a en germe son déploiement, son devenir.

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