SEULES LES REINES (1990)

Voilà, j’arrive ! c’était hier
L’époque où j’employais avec si grande ivresse
Métaphores d’exil, de vide, abîme et perte,
Même déréliction, oui, je m’identifiais
Au souffle de ces mots alors que j’étais pleine
De projets et de comblements, entourée
De mille admirateurs, sans compter les adorateurs
Et accompagnateurs. Maintenant
que je suis vraiment tombée dans le vide et le deuil
Je n’emploie plus ces mots qui pourtant me collent à la peau
Comme si je les y avais priés,
Mais d’autres, horriblement banals et vieillots,
Le boulot, la famille, se protéger soi-même,
être en règle, ne rien transgresser de sérieux,
gagner un peu plutôt que perdre tout.
Oui, voici donc les mots qu’emploie une exilée.
 
Seules les reines se grisent des beaux mots d’exil,
Défaite, désapprendre, démettre, oubli, fissure,
Elles se glissent dedans, les essaient comme des robes de bal,
Destinées à des fêtes d’un jour, des cérémonies improbables.
Oui, ce sont des robes de mariées
Que ces mots bien trop beaux pour être vraiment portés.
 
Le jour où on les porte pour de vrai
On en perd le vocabulaire, il vous devient suspect,
Excessif, boursouflé, et peut-être pervers. Mais surtout
Du fait que ce ne sont plus des mots,
Mais des faits, vous cessez d’en jouir. Désormais, vous savez
Qu’aux hyperboles de la poésie pure répond
Dans le vrai de vrai, un réel très social
Et nullement exaltant, sauf à devenir saint,
Et ça, vous en êtes loin, tout occupé à vous défendre,
Bien plus qu’à vous livrer à des offrandes.
 
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