Bon. Tu vas faire des frais. Du papier. De l’encre.
C’est cher, l’encre d’ordinateur. Et le papier.
Plein de papier. Plein d’exemplaires.
Aux quatre vents. À un tas de gens.
Comme des graines de pissenlit. Pfffftttt! Pssssittt !
Perroque. Répète. Et songe
Songe songe Céphise tu as encore raté le jour. Ratage et raturage.
Un seul jour d’aujourd’hui dans l’année. Pas deux.
Aujourd’hui c’est dimanche des Rameaux. Et toi ? Au lieu de te rendre à l’église ? Pschiittt !!
Rien. Du sur-place.Tu ne prends pas le bus. Pas tes pieds. Nez collé sur l’ordi.
Tu essaies de ranger ta vie.
Tes dessins. Tes écrits. Te voici
À musarder, à te relire.
Et te dire :
Pourquoi pas ??
Mais à qui ?
Chère petite fleur de pissenlit !
Demain c’est ton anniversaire
Tu vas te faire un cadeau.
Envoyer
à monsieur l’Univers
qui n’en a rien à faire
tes cadeaux
tes grumeaux
tes solos.
Ah bon ?
Tu n’en as rien à faire ?
Elle se dit
pourquoi pas
le matin
chaque matin
liturgie légère
ouvrir l’air
l’air de rien
l’air de quelque chose
le sans pourquoi des roses.
Cette imbécile
qui n’est même pas allée
au dimanche des Rameaux
écouter l’Évangile
s’imagine pouvoir faire
à elle seule aussi bien
presque mieux
l’orgueilleuse
ne sait pas se faire aider
et pourtant dieu
c’est ma servante
mon valet de chambre
se dit cette orgueilleuse
il ne demande pas mieux
que de me prêter main
prêtez moi
prêtez-moi
ce qu’on ne m’a pas donné
ou bonheur
ce que je n’ai pas pris
oui c’est ça
pas vu pas pris
c’est comme si
de là-haut
quelqu’un au bout du fil
croire à n’importe quoi
il ne manquait plus que ça
Elle essaie de travailler
Elle se relit
Elle se demande
pourquoi
c’est écrit
ça fut écrit
et ça se tait
(incontestablement écrit
et ça se tait)
jamais mémorisé
jamais vraiment pensé
et pourtant
noir sur blanc
indubitablement
incontestablement
tracé
libellé
écrit
Elle a tout oublié
de qui elle était.
– Ou la question est-elle
plus monumentale ?
On ne sait
on ne sait jamais
qui on est.
Oui j’ai tout oublié
de qui j’étais
– c’est pourquoi il faut publier
pour que d’autres gens
avec d’autres histoires
te prêtent leur mémoire.
Te greffent
Sorte de corps mystique.
Leurs neurones
leurs cerveaux
sur tes trous
de mémoire.
Et tu pourras mourir.
En réalité elle se dit
je pourrais recommencer
à exister
ou commencer tout court
quand j’ai écrit ces choses
je ne les ai pas perçues
je n’en ai pas joui
je ne les ai pas senties
il y a dans le corps de celui qui écrit
quelque chose de fantomatique
une blancheur asthmatique
on se tient de l’autre côté
on vit d’avance sa mort
on veut laisser des traces
c’est parce qu’on sent très fort
qu’on est déjà presque mort
Tu as écrit
Écrit, tu dis, vraiment ?
sur l’écran ?
– mais peut-être pas imprimé ?
Des lettres pas tracées
de la main à la main
juste le bout des doigts.
clavier des ongles
griffe sans jus
le flux mouillé
de l’encre mais où est-il ?
La douce liquidité
du désir de jaillir ?
Pas tellement corporel
par charnu
ton petit jus de citron.
Comment dit-on ?
Virtuel ?
La vertu perd sa force
Les mots perdent la face
Toi tu perds ta ferveur
demain à dix-huit heures
c’est l’office du Fiancé.
c’est ton anniversaire.
Pas très charnu
dis-tu
ton petit flux.
Momie.
Seigneur
aide-moi je t’en prie
à redevenir vivante
à écrire de la vie.
Je ris au téléphone
à cause de cette incroyable photo de son père
ébouriffé
hirsute
qu’a retrouvée Clara
« Pour rire et pleurer à la fois »
écrit-elle
je commente ça alors !!
mais d’où ça sort ?