J’ÉTAIS POREUSE (2006)

Eh oui, j’étais poreuse. Est-ce un méfait ?
Je faisais un petit boulot. Discontinu. Horaires émiettés.
Entre deux rendez-vous je n’avais pas le temps
de rentrer chez moi. J’attendais.
Dans les squares je stationnais. Pendant des heures
Restais dans l’entre-deux, à bâiller aux horloges.
Dans la ville je marchais. Dans la banlieue passais des ponts ventés
Je n’avais pas de parapluie. Si j’en avais, je les perdais.
Ma vie se déroulait dans les trajets et les jardins publics.
Jardins d’attente. Cafés en pente. Je glissais
Savonneuse. Les nuages me parlaient. Leurs roulements d’orchestre
M’envahissaient de leur splendeur.
Je les suivais. Les écoutais. Entre deux salles
Entre deux rendez-vous, deux portes, la ville était pour moi
Un immense couloir dont toutes les parois
Se seraient fissurées, ouvertes, éventrées. J’avais les tripes à l’air
Ou le cerveau, plutôt. Cette errance bancale
Me faisait habiter en direct l’atmosphère et me rendait poreuse.
 
À quoi ? Je ne sais trop. À des musiques,
à des rumeurs ; à des chansons d’excavatrices.
À des marmonnements qu’un souffle exaspéré
Venait déposer à mes pieds, beau cadeau.
Ce qui me frappe, c’est que des bribes de phrases
Qui semblaient exister déjà, présentes dans l’atmosphère
atterrissaient sur mon carnet ouvert,
en giclées d’allégresse, agrippées deux par deux
Ou trois par trois, en rapprochés bizarres,
Duos ou triolets fracturés de surprise. Je me demande pourquoi
Les mots aimaient mon inquiétude errante
Et me fondaient dessus. J’étais si incertaine.
Mon avenir aussi. Je chancelais. Vagabondais instable
Aux bords de l’insécurité. Aux portes des clochardes.
Aux marches de la société : le soir dedans, mais le matin dehors.
Sans avarice et sans compter, les mots versaient alors
leur impatience entre mes doigts, ou leur munificence.
Généreux dans l’excès. Fourmillants d’excroissances.
Attirés, aimantés. Par quoi ? La vie précaire ?
La pauvreté ? Le psychisme à mouvement pendulaire ?
La table ouverte des détresses ?
Je me laissais envahir
Par l’électricité du lieu. Par l’énervement de la ville.
J’étais au monde un petit interstice
Et nous échangions lui et moi à l’air libre
Quelques vibrations temporaires
 
J’étais peut-être en ce temps-là tout simplement
Plus réceptive que maintenant.
 
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