J’avais en ce temps-là une sorte de grâce
L’innocence en mes pas déployait ses filets
je pêchais l’énergie qui s’enivre du pire
L’innocence à mes pieds attelait ses reflets
Je traversais les ponts comme on sort de ses gonds
Je franchissais la poudre et l’arrière-saison
Mes souliers dérivaient vers l’ultime raison
De pétrir l’eau du fleuve avec l’huile de foudre
Puis vint le jour où je cessai d’être immortelle
La franchise fusa dans mes pieds fatigués
Et je n’arrondis plus l’horloge du désir
Ni l’escalier du temps torsade qui respire
Je cherchai un objet dans l’amitié des villes
De ma vie passagère déjà demi enfuie
Je vis bouillonner l’eau sous le pont de Chatou
Combien de temps me restait-il encore
À zigzaguer frelon butinant d’île en île ?
Le pont rebondissait, l’asphalte se crevait
sous mes pas élastiques de pieds de tanaisie
Je franchis de la sorte le milieu de ma vie.
Je perdis l’inconscience. Le temps était très gris.
Fallait-il regretter cette âme d’enfant morte,
Cette escorte cruelle ? Mes sauvages ivresses
D’innocence et de gloire, le vent, dans un grand geste,
Les fit choir dans les eaux de la Seine
Le réel me giflait. J’avançai contre lui
Étourdie par le vent. Baleinée de détresses
Mais je ne sautai pas dans cette eau qui, grondant
M’attirait un peu trop. J’atteignis l’autre rive.