Voilà. C’est une journée ordinaire. Un dimanche
Où j’ai du mal à me lever. Comme si
De mes projets d’hier j’avais tout oublié
Et que le monde était dans cette ouate blanche
À rebâtir de fond en comble. Aucune
continuité. Course contre la dune
qui chaque nuit m’ensevelit. Course contre la lune.
Panne de mémoire. Où suis-je ?
De mon visage d’hier plus le moindre vestige.
Mes cheveux ne sont que broussaille, et ma peau
Cabossée attend la magie du miroir
Et de gestes très simples qui la reconfigurent.
Café. Toilette. Regard dégoûté sur l’évier.
Course à l’ordinateur, rituel fort habituel,
Voir si j’ai du courrier. Rien à cette heure
Que la fenêtre de l’antivirus informatique
– pardon pour la notation poétique –
qui me signale que je ne suis pas à jour.
Ah, mon pauvre ! quand le serai-je ?
Puis le téléphone sonne. Je lisais une revue.
Lecture bien décousue. Je cours. C’est Bérénice
À propos des petits poèmes tout humides de spleen
Que je lui ai donnés à lire jeudi. Des nues
Je dégringole. Il faut m’y faire
À cette voix qui n’a rien de virtuel. Ces poèmes,
J’étais timide en les lui donnant, et timide était ma demande.
« Dis-moi simplement s’ils sont compréhensibles
d’une oreille extérieure, si on suit,
bref, si je n’émets pas à seul usage interne
un chanson de sourde. J’en aime la musique,
mais les paroles ? Sont-elles un peu audibles ? »
Elle me dit qu’elle a bien aimé, que le phrasé est simple,
Que c’est comme une chanson. Surtout, elle me répond.
Bavardes comme des pies, sautant de mot en mot,
Nous sommes deux fillettes qui jouent à la marelle
Et se renvoient à qui mieux mieux du bout de nos sandales
Les cailloux blancs du Petit Poucet,
J’entends « fragments, composition, rythme, mélodie »
Et à chaque fois en riant rebondis – pourquoi rions-nous tant ?
Bonheur de chanter à deux voix. Soudain j’entends
« Excuse-moi, mais j’ai envie de faire pipi
et je vais raccrocher, dis ! » Même pas le temps
de lui dire mon étonnement :
« Alors, tu n’as pas un sans fil ? »
Maintenant, je cours dans la cuisine. Je n’ai pas déjeuné
Et déjà je dois préparer le dîner.
Mes enfants viennent ce soir. Pour moi, la matinée
Aura duré jusqu’à cinq heures du soir.
Je voudrais que les jours durent deux fois plus longtemps.