HOMMAGE À LA FONTAINE

J’ai aimé ma vie.
Lorsque j’entends
comme un reflux sonner dans mes tympans
le bruit, le bruissement familier
d’une fable de La Fontaine
son buissonnement son chant du merle

je me souviens alors comme si j’y étais
à quel point j’ai aimé la vie
où l’on me murmurait ces choses – ces sons qui continuent
tout doucement obstinément de bruire
dans mon par-cœur

têtues comme des fourmis
douces comme des cigales
j’aime les réentendre
car revient à la vie mon oreille d’enfance
qui croisait l’ignorance
avec mille naissances

je me souviens alors
de ce passage secret
qui conduisait au sentiment bizarre
d’être tout à fait soi

j’aimais entendre en mon enfance réciter La Fontaine
car je savais déjà Dieu sait comment qu’en mon vieil âge
un jour lointain ou bien très proche
j’entendrais à nouveau la belette
le renard et même la carpe
je savais que j’entrais dans un chœur
qui ne s’arrêterait jamais de battre

et je savais déjà en mon enfance que cinquante ans plus tard
traversant le parc Montsouris,
je verrais sur le lac un héron se poser
ce serait si merveilleux que j’entrerais en extase
la terre s’arrêterait de tourner et je m’entendrais chuchoter
« un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où
le héron au long bec emmanché d’un long cou »
je me dirais mais c’est vraiment bien vu
et me croirais presque l’auteur
de ce murmure délicieux

de ce murmure venu des cieux

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