Le 1er décembre 2004
Document joint (pas envoyé)
Frédéric, serais-tu devenu mon journal ?
Mon directeur de correction (oh le lapsus !! je voulus dire de collection) ?
Écrivons-nous un roman par lettres ?
Et pourquoi faudrait-il un roman ??
Eh, bien, parce que MARiNO = ROMAN plus i
Romain ? Main (d’)or ? Roma®in, ou rose marine ?
Non, i-roman (comme i-mac)
Pourquoi je lance ces hypothèses ?
Parce que j’ai tant besoin d’un interlocuteur pour ne pas sombrer dans le momologue (n)
(je ne corrige plus les lapsus)
Parce que tu me demandes de te raconter mes soirées.
Parce que tu te présentes et que je réponds « présent ».
Parce que je me présente et que tu réponds « présent ».
Cadeau de la présence.
Parce que j’ai tant besoin d’un fil d’Ariane, moi qui m’appelle « taisez »
(Et toi aussi sans doute.)
Parce que.
Demain, je vais à la Leçon de musique à la mairie du 20e : Schubert.
Je te raconterai, si j’arrive à entrer ! Annette dit qu’il y a foule.
En ce moment, je filtre par répondeur interposé les coups de fil, parce que la nouvelle secrétaire de Dialogue m’appelle à l’aide, dit qu’elle est perdue, me harcèle pour que je l’éclaire.
Pas envie de l’envoyer bouler, mais tout de même, y a des principes ! Un grand principe, c’est que les mots veuillent dire quelque chose. L’Afccc m’a refusé de prolonger mon exercice, je le leur ai demandé, ils s’en sont foutus, que je boucle proprement et transmette à mon successeur, pas vu l’intérêt, pas saisi, alors pourquoi je ferais comme si leur NIET était parole en l’air ? Dixième message et troisième personne qui me prie bien gentiment de faire comme si le président de l’Afccc avait chanté. Le dir pub me relance (Jean), la chef du comité de pilotage me relance (Régine), la nouvelle secrétaire me relance (Virginie). Suis-je une balle en caoutchouc mousse, à être ainsi relancée ?
Le soir où Alice était là, la vétérane du comité de rédaction, Marie-France, me téléphone pour me rappeler la petite fête chez elle en mon honneur le 7 décembre. Ils vont me faire un cadeau. « Ça te ferait plaisir une place à l’Opéra ? – C’est une idée géniale ! » Marie-France me lit les programmes. Pendant ce temps, Alice : « Elle est où, la lumière dans les toilettes ? » Marie-France : « Tu es avec quelqu’un ? Je t’avais demandé si je ne te dérangeais pas ! Tu aurais pu me dire ! je te rappelle !! » Alice sort des toilettes. Concluons. Ce sera l’Opéra Garnier, en janvier, avec MF et son jules, un dimanche (j’ai un peu oublié quoi, le Dialogue des carmélites, à Bastille, dommage, c’est trop tard. Ah oui, ça me revient : le Couronnement de Poppée – c’est de qui ??).
Marie-France à Dialogue est devenue une vraie potiche, voyeuse un peu mondaine qui lance son couplet. Me dit il y a cinq ans vouloir démissionner. J’envoie au comité un ordre du jour comportant « pot d’adieu pour Marie-France ». Coup de fil furieux : elle a dit ça « comme ça ». Moi, résignée : « Sans doute un malentendu… »
Le pot d’adieu chez Marie-France inscrit ces 24 ans de ma vie dans un temps cyclique. C’est elle, en 1981, qui m’a embauchée, assistée de deux créatures aux cheveux gris vêtues de bleu marine, qui m’ont fait penser à des demoiselles de Sainte-Marie – elle aussi, Marie-France, look très Daniélou. Quand je lui dis cela, elle s’esclaffe : « Tu sais bien que j’ai été virée de Sainte-Marie pour mauvais esprit ! » Complexité des grandes bourgeoises !
Sans doute encore une femme magnifique, mais elle m’a bien fait chier quand j’ai débuté. Un don pour faire entendre ses suggestions comme des ordres, ton de voix souriant et sans réplique : « Tu devrais faire ci, contacter Machin, écrire à un tel » etc. Chapeau, Marie-France !
Ce matin, le répondeur clignote quand je me lève (tard : restée le nez sur l’ordinateur jusqu’à deux heures du matin, enfourchant les chemins de la nuit qui dissout les obstacles et vous fait décoller dans l’ivresse comme une plume, ultra-légère, motorisée, subtilement transgressive). Donc, clignotement. Voix rauque. Encore Virginie L., encore un SOS. Bonheur d’avoir pioncé si tard ! Merci la nuit !
11 heures du matin. Sonnerie du téléphone. Répondeur enclenché. Voix de Ginette C. Cette fois-ci, je décroche. Elle a reçu mes corrections, cherche ses mots, inquiète : « J’y ai jeté un coup d’œil, vous y avez été fort, comprenez, le budget… on ne peut pas dépasser les 50 heures prévues… OK, pas de problème pour moi, c’était dit… d’ailleurs, je n’ai pas compté les heures ! J’ai bien vu que vous aviez dépassé le quota. Une revue, ce n’est quand même pas un ouvrage ». Bref, j’en ai fait un peu trop. « Promis, je vais me calmer… je m’acharnerai moins. Le tout, c’est de connaître la règle du jeu ».
Bavardage. Voix chantante, accent toulousain. Serais-je d’accord pour continuer ? (Ouf… je craignais un peu le sans suite). D’accord, mais, please, des délais moins serrés. Je préfère la sociologie, la psychologie ? Les deux, mon général. M’envoie deux livraisons de Mille et un Bébés, très jolie collection presque grand public.
« Bon, et pour le paiement ? »
Ce sera en droits d’auteur (AGESSA), sur la base des 50 heures convenues. Faire facture.
Les Mille et Un Bébés arrivent demain. Aurai-je assez de berceaux ?
Vingt heures à passer dessus. J’ai demandé onze jours.
Quand irai-je à Montreuil ? Demain, banquière, leçon de musique, OuLiPo…
Pas revu Olga et les garçons depuis la Toussaint.
(Olga : encore une femme magnifique.)
Sur Toul, ils ont l’air d’hésiter (surtout Rémy), mais ça penche plutôt pour.
Ça va quand même leur coûter 50 000 F par an, sans compter complications, soucis, déplacements, faux-frais, acrobaties, et privation de leur fille.
« Pas très bon rapport qualité-prix, me dit Olga, surtout sur trois ans… »
Lâcher sa fille au moment où elle devient femme…
Mais la petite est entêtée… Elle veut ça à tout prix.
Ah, cette éducation à l’autonomie, plus qu’à la protection !
Mais moi-même à son âge… ? Endormissement. Léthargie. Désirs toujours en souffrance.
Si Shérane part, je lui écrirai de de vraies lettres. Une correspondance, pas des SMS… Des petit poèmes.
J’écrirai des livres pour elle (encore un projet avorté, écrire des livres d’enfants). Des recueils.
Comment j’ai eu treize ans en 1953. Ce dont je me souviens. De la mort de Staline.
… Quand Rémy était à Damas. Nos lettres. Ses lettres. Tout ce que nous nous sommes dit (en ai-je gardé trace ? dans une boîte en fer blanc ensevelie de poussière noire ?). Son incroyable don pour écrire « moderne ». Jazz, swing, tango ! Rythme trépidant, syncopes, art diabolique de la description télégraphique ricanante. Pas un mot de trop. Aucun modèle littéraire dans la tête (ne lit que Moto-Journal et la Gazette de l’ULM, tout ça dans les chiottes). Et la façon dont il titre ses photos ! Toujours en plein dans le mille, et à se tordre de rire.
Olga aussi, elle sait faire.
Toute cette génération, qui n’a jamais lu Proust, et qui pète de style !
Pendant que je gémis sur mon latin et mon grec.
PS. Je laisse tomber les tirades intello. Le récit, c’est mieux. Un journal adressé, c’est mieux. Non ?
1er décembre 04. PS et PPS
PS Au fait, n’est-ce pas toi qui suggérais les jumelles, pour l’opéra (l’œuvre) ?
PPS J’ai encore perdu mes lunettes
2 décembre 2004 Schubert
Merveilleuse leçon de musique à la mairie du 20e, salle des mariages.
Appris des milliers de choses sur Schubert; sa façon de composer, le romantisme allemand, le mystère du roi des aulnes mêlé à la mélodie populaire. Es-tu sensible à la musique romantique ? Tu parles volontiers de musiques plus anciennes.
St-Mihiel, Bar-le-Duc, Nancy, Verdun, tes errances me font penser à un Voyage d’hiver. (Comment dit-on cela en allemand ?)
Bon, je vais réécouter le trio en mi bémol.
Pas de plaisanterie sur les monocles, j’ai failli perdre un œil et l’autre est sûrement menacé, donc, ce mot me fait peur.
Mal dormi ces deux dernières nuits (l’excitation d’ écrire ou de recoudre des fragments d’écriture jusqu’à pas d’heure), donc, cette fois-ci j’y vais (au lit). Le compte-rendu d’OuliPo 2 sera pour une autre fois.
PS Ginette C m’a envoyé deux fichiers en PDF, impossible de les ouvrir sur mon PC, comment faut-il faire ?
3 déc. 04 SMS
Pardon de t’épuiser, juré, je vais me calmer… (c’est déjà ce que j’ai dit à Ginette C, la dame de chez Erès, qui trouvait au téléphone que j’en avais « un peu trop fait », dans mes corrections, et s’inquiétait que je ne lui compte des heures en plus…)
Dont acte. J’en fais trop. Promis, juré. Plus rien que des haikai (ou haikus ?)
(… Et tant pis pour la lettre longue, mais déjà périmée, que j’avais en réserve.)
Demain, chez moi, réunion des « cousins germains » (malheureusement, dans le lot, il y a mes deux frères et leurs terribles femmes).
Envie terrible de me remettre à fumer.
3 décembre 04 SûreMentStupide
Est-ce ainsi que naîtrait l’œuvre : de lettres pas envoyées ?
4 décembre SMS prolongé
Ben moi, j’y suis allée hier matin, à la Sorbonne, écouter Claude Vigée. Il fait un beau portrait de Pierre Emmanuel et de ses relations avec lui… de ses désaccord avec lui, des effets thérapeutiques sur un homme dépressif du Cantique des Cantiques etc. Tu connais tout ça par cœur. Salle clairsemée.Je note de jeunes femmes et de vieux hommes (dont un certain Claude Henri Rocquet et sa dame, naguère croisés rue St-Victor, à une époque où je faisais un numéro de Dialogue sur « Le lit », je lui avais demandé un petit quelque chose sur le lit d’Ulysse (après conversation au café), ah le chien ! son article n’était qu’un collage de citations d’Homère signé CH Rocquet – heureusement qu’Homère ne s’est pas réveillé de sa tombe pour réclamer des droits d’auteur. Bon, je m’enflamme… et ne sais comment me sortir de cette parenthèse). Hier, Nathalie n’était pas là. Je me suis barrée discrètement après Vigée, temps froid, ciel clair, la rue Saint-Jacques monte au ciel.
Demain, donc, oursins germains. Comment les recevoir dans ce fatras ? Accablée à l’idée des faux rangements que je vais faire (fourrer n’importe où ce qui jonche le salon, et, après, ne plus rien retrouver, of course). Au fait, quand tu es dans le quartier, je ne suis pas opposée à l’idée que tu viennes à la maison, si le désordre ne t’effraie pas… c’est moi qu’il panique.
Ah, les belles-sœurs ! Je fourbis déjà mes répliques à leurs petites méchancetés naturelles, mais comment prévoir ce qu’elles vont me sortir ? Au téléphone, Martine : » Dis donc, ça fait longtemps qu’on n’a pas eu de tes nouvelles ! » Juste au moment où j’en donne ! Et elle ? elle m’a téléphoné, des fois ??! Mais j’ai tellement l’esprit de l’escalier que je reste coite. Ou bien mon frère Bernard (il n’est pas venu à St-Malo) qui m’administre un petit cours moralisant sur « les cousins bien tempérés » : « Tu comprends, il ne faudrait pas que ça revienne trop souvent… ! Mais là, ça peut aller… »
Se prend-il pour le maître du jeu, celui qui donne les règles ? Ou rationalise-t-il à sa manière le fait que, mes cousins et moi, on se passe assez bien de lui ? Je rétorque méchamment : « De toutes façons, si vous étiez venus à St-Malo, ça aurait posé un problème… Alain ne peut pas loger tout le monde. »
Pauvre Bernard ! Encore un exclu de la famille (je ne rigole pas, les cousins en ont fait leur tête de Turc, à cause de sa nana, à tel point que c’est moi qui prends sa défense – les boucs émissaires familiaux, même sous forme de plaisanterie, je n’aime pas trop trop).
De toutes ces petites piques et complications, je m’épanche dans le giron de Nicole (une « crème », comme disait ma mère), épouse de mon cousin Philippe, que j’aime bien lui aussi (sans doute un bon prénom).
À moi Amiens ! j’avais ma petite angoisse pour Noël, Rémy et Olga ayant pris la tangente (d’habitude, c’est chez eux), Bo noyé entre cousines, mère et père divorcés de Céline, et Gilles ayant la mauvaise idée de faire quelque chose chez lui le 25 décembre (les deux dernières années, il n’a pas trop encombré le paysage, filant l’imparfait amour avec une avocate de 45 ans, et c’est lui qui s’est retrouvé seul, bien fait, l’avocate passait Noël avec son ex et ses enfants). Je ne flippais pas vraiment, non, d’ailleurs je trouve que Noël, ça devrait être comme les jeux Olympiques, pas plus d’une fois tous les 4 ou 8 ans (j’ai oublié l’intervalle des JO). Interdit les autres années. Quand même, je téléphone à Clara, « Vous faites quoi le 24 ? – Rien de spécial » (ça m’étonne un peu, Francis qui est fou de sa petite-fille) – De toutes façons, si je reste en carafe, ne vous en faites pas, bonne occase pour retourner rue Saint-Victor », là-dessus voix de Francis, « Ah non ! On va t’arracher à tes superstitions ! » Etc.
Bon, il va falloir que j’aie une petite conversation intelligente avec Francis, je vais peut-être lui servir ce que m’a servi Annita : « Me retrouver avec des chrétiens, ça m’oppresse, mais quand je me trouve avec des gens avec qui il est interdit d’évoquer la religion, j’étouffe… » Bien d’accord avec toi, ma grande !
Par je ne sais quel mystère, je suis abonnée temporaire à la Croix, je trouve ce canard pas mal. En ce moment, un dossier très bien fait sur la discrétion des intellectuels chrétiens…
J’ai remarqué les silences d’Alain Badiou sur Ricoeur, Levinas, Pierre Emmanuel et autres… Pour lui, ces gens n’existent pas dans le paysage intellectuel français.
Je recommence à écouter de la musique (du Poulenc).
La phrase qui m’a alertée sur une avalanche possible de mots pesants de ma part : « Il va falloir que je relise Castoriadis. Cela devient épuisant ».
Je me suis dit : ma vieille, c’est toi l’épuisante.
Je retourne à mes rangements. Poulenc vient de s’arrêter, petit accord dissonant.
PS. Merci pour PDF, Bo aussi m’a donné le tuyau et l’URL, mais j’ai décidé de ne pas m’en servir et de demander à Erès de m’envoyer une version sur papier. Pas envie d’ouvrir des documents joints en provenance d’une adresse qui en reçoit tout un tas de partout, peur de récupérer des virus de la France entière. Ma parano. Et puis, pas envie d’user du papier et de l’encre pour Erès. Mon avarice.
À ce propos, dans les livres courts et faciles, je te conseille Les Confessions d’une radine, de Catherine Cusset. En poche.
PPS Je n’oublie pas la lettre périmée ni le poème perdu. Merci de me dire que je t’accable pas !
De: « Marie-Noëlle » À: « Frédéric »
Date: dimanche 2 janvier 2005
Dernier jour de vacances…
Hier, trafiqué sur l’ordinateur trente versions possibles de « Clara lit », mais calé au moment de sortir pinceaux, eau, peinture, tous ces trucs mouillés qui font qu’on n’est pas seulement dans le virtuel (comme sur l’écran, où toutes les métamorphoses s’accomplissent en un clin d’œil et dans une irradiation sèche : on explore, mais on ne « se mouille pas »).
Avec la continuité dont j’ai bénéficié ces quelque jours (pas mis le nez dehors) me sautait aux yeux une révélation consternante : il suffit de travailler, travailler, retravailler, et je peux y arriver. Est-ce pour être bien sûre de ne pas y arriver trop vite qu’à 18 h j’ai décidé que j’étais épuisée et me suis affalée devant la télé ?
Relu l’article de Blanchot sur Proust, dans Le livre à venir, intitulé « Le chant des sirènes » (Oh ! mais j’y pense, j’ai vu jadis un documentaire intitulé « Le chant du styrène », ce ne serait pas ça le documentaire de Queneau sur le plastique ??) Dans cet article, il n’est question que de métamorphose. Métamorphose du temps, notamment. « Ce n’est ni le Proust réel, ni le Proust écrivain qui ont le pouvoir de parler, mais leur métamorphose en cette ombre qu’est le narrateur devenu « personnage » du livre.
Lu aussi l’article sur « Claudel et l’infini. » Portrait sublime avec en prime cette phrase qui bizarrement m’a fait penser à toi : un homme qui « demeure dans la raideur embarrassée de ses grandes forces sans emploi ».
Je ne sais si tu t’y reconnaîtras, mais cette phrase m’a émue.
A propos de métamorphose : c’est le thème du prochain Oulipo jeudi prochain.
Tiens, voilà le soleil !
Baisers
4 janvier 2005
CONTRE-VOIX (pas envoyé)
Correspondance quotidienne, addiction, assuétude,
configuration sur l’ordinateur d’un personnage imaginaire : Frédéric.
Ce serait le lecteur qui deviendrait le personnage du roman, et non le narrateur, comme chez Proust.
Tentatives d’alchimie, pourquoi cette phrase sur toi, de grandes forces empêchées, toi tu dis faiblesse, moi je t’ai vu parfois comme un mur de présence laissant si peu de place à l’absence de toi que c’était entre nous le mutisme absolu, forces inemployées, sans emploi, si, forces à l’arrêt, forces trop tournées vers la terre, forces qui regardent la mer en Bretagne et soudain aveuglent ta vision, ton émotion, obturent tout, car dans cette vastitude quelque chose serait trop, te demanderait de faire craquer une enveloppe, l’outre d’Éole ? non, plutôt l’enveloppe d’une lettre écrite depuis longtemps que tu ne veux pas lire, tu n’oses décacheter. Bon, c’est idiot ce que je dis, je ne sais pas, j’imagine, je t’imagine comme un personnage de roman mon personnage ? moi si peu douée pour la fiction ? l’invention ? si myope, qui ne vois pas plus loin que la longueur de mes bras ? comme si quand je ne pouvais pas toucher, avoir à portée de main, je n’y voyais plus rien – ce titre « on n’y voit rien », ce n’est pas seulement le livre et son contenu, mais cette constatation, je n’y vois rien, rien de rien.
Donc, je t’invente et te configure, je te façonne à ma façon ? Sûr ! Ce mur, cette paroi abrupte, j’ai cru parfois y sentir une violence stationnaire, des forces qui en tourbillonnant s’annihilent, qui t’empourprent les joues, une émotivité lyrique mais qui s’interdit le lyrisme, je n’ose la question stupide, la question projective, mais n’as tu donc jamais songé à écrire, des poèmes, des textes, à cracher ton trop-plein sur des feuilles de papier, et bientôt je t’entends qui me rétorques que tu en as écrit des milliers, de poèmes, des milliers de pages, mais que jamais personne ne s’en est douté ni n’a demandé à les lire.
Franchement, que dis-tu de l’idée que dans cette correspondance virtuelle, où l’abrupt mur de la présence ne s’interpose pas, je m’efforcerais de faire de toi un personnage de roman ? Et non pas malgré toi ? car c’est bien toi qui m’as relancée, je ne t’ai pas trop demandé dans quel contexte, quelle période de ta vie cette relance survenait, mais elle n’est pas arrivée par hasard, c’était une bouteille à la mer, et voilà, la mer a répondu, la mer têtue, ses vagues, son côté rouleau compresseur, dissolvant, son grondement liquide, son indiscrétion, son aveuglement. Pas tout à fait moi, mais quelque chose à côté de moi comme un chien tenu en laisse, petite tarasque qui dort mais pas tout le temps et parfois s’ébroue et trottine.
De: « Marie-Noëlle »À: « Frédéric »
Date: mardi 4 janvier 2005 19:28
Talonnée par le temps car replongée dans ma Recherche du temps perdu (hélas, quelqu’un m’a pris le titre). Quelques titres de chapitres pas écrits: « Semblant de dormir », « Prenez la plume à ma place », « le revenant »…
Permets-moi d’insister, sans développer, sur « tes grandes forces inemployées » (ou sous-employées ??) L’inemploi, c’est cela la faiblesse. Cela fait vaciller. je voudrais t’en dire plus mais ce sera pour plus tard.
Émue que tu te souviennes de Marie-Madeleine et la ramènes à la surface, sans doute ai-je voulu l’oublier parce qu’en choisissant ce nom j’en avais trop dit. C’était même sacrément impudique, le côté pécheresse et le côté amoureuse de Dieu (voir les remarques de Dominique Aury sur l’obscénité de la prière). Je vais tâcher de me remettre un peu plus dans cette peau.
Je me demande d’ailleurs, si par cette correspondance addictive et génératrice de fantasmes, nous ne sommes pas toi et moi en train de nous façonner à nous-mêmes des sortes de doubles fantasmatiques et de nous configurer comme des personnages de roman. Moi, cela ne me déplaît pas, mais toi, qu’en penses-tu ? Est-ce cela que tu appellerais simplement « identités multiples » ? Diffraction de l’identité ? ou du Soi ? Heureusement, il y a un frein à l’imaginaire, c’est que l’autre répond.
Vu Alice, plein de choses à raconter, elle me donne à lire quelques pages dont elle est contente sur sa « gémellité ». C’était au Zimmer, place du Châtelet. Lui ai donné mes impressions. Quelle qualité d’écoute a cette fille !
J’ai enfin planté les 50 tulipes que j’avais achetées en novembre, dans les pots de la cour. Et ça sent bon la potée lorraine dans ma cuisine.
On se voit quand ? Réponse : si c’est chez moi, faut d’abord que je fasse le ménage. Donc, me faut un peu de temps. Sinon, quand tu veux (sauf vendredi de 14 à 17 h 30…)
Au fait, c’est jeudi l’Oulipo. Je ne désespère pas !
Baisers