Bien occupée à l’île d’Yeu avec le jeune Bastien, Clara, Francis, Mélinée fille d’icelui et François gendre plus petite fille de deux ans, Lulu (ressemble à un petit hamster, mais, chut !! ne pas répéter !!) Les jeunes enfants, quel esclavage !! Impossible de lire, dessiner ou même vaguement penser !! Dieu merci, Bastien est aussi craquant qu’épuisant. Viens de le rapatrier à Paris. Demain retour dans l’île…
Bise éolienne
RE
Rentrée ce soir, comment va être l’atterrissage ? Mais j’en avais un peu marre. Même du beau temps persistant et petit vent du nord agaçant.
Nicolas Bouvier raconte que dans certain canton suisse, quand il y a du foehn, les tribunaux s’arrêtent : impossible de juger
sainement avec ce vent qui rend fou (lui il dit : qui déprime).
Il a fini par pleuvoir avec la grande marée. L’herbe en a profité pour reverdir, incroyable ! Elle était plus râpée qu’un vieux paillasson.
Les lapins ont mangé : mes lis, mes boutons de dahlias, et les embryons de courgette que j’avais plantées entre les deux haies. Ils les ont quand même laissées fleurir. De temps en temps, le soir, j’en voyais un s’enfiler entre les fougères en direction de la mini-clairière-salle de douche à l’herbe verte et tendre à force d’être arrosée.
Retournerai peut-être à l’île d’Yeu vers le 15, avant la reprise de mes cours de yoga.
Bon chantier et mille baisers
RE
Aucune missive de toi, serait-ce que tes travaux ont mis le bazar à ton ordinateur, ou que c’est à mon tour de t’écrire (comme quand on joue aux cartes) ?
Tu m’as parlé d’un film, Peindre ou faire l’amour, je n’ai rien compris, n’ayant pas suivi l’actualité cinématographique.
Belle conversation avec Olga hier (voir document joint).
Aujourd’hui suite de Jean-Jacques Rousseau : « dès lors, au lieu qu’auparavant je ne sentais que le plaisir d’aller, je n’ai plus senti que le besoin d’arriver ».
Il parle du plaisir de voyager à pied et sans bagage.
Vais troquer le dur désir d’arriver contre le plaisir d’aller nez au vent.
Ferme résolution de ne plus prendre de résolutions.
Rousseau parlant de lui :
« ce caractère efféminé, mais pourtant indomptable, qui, flottant toujours entre la faiblesse et le courage, entre la mollesse et la vertu, m’a jusqu’au bout mis en contradiction avec moi-même « .
Eh oui, je me suis lise à mire les Confessions. Dans l’herbe, parc Montsouris, plein soleil. Gens autour. Curieuse intimité de tous ces allongés. Comme à la plage. Petits cercles sur le sable où on livre son intimité en écoutant celle des autres, en toute tranquillité impunie.
Baisers moelleux
PS Imprimante toujours déconnectée. Est-ce le câble qui est cassé ?? « On » me dit que le fichier acpi.sys est endommagé…
RE
Ce fut divin, l’île d’Yeu ! quelle lumière !
Et quelle riche vie sociale entre voisins retraités, beaucoup plus disponibles que quand ils ont toute leur petite famille ! (moi la première)
La technique : couper les ronces le matin devant la maisonnette. Bien en vue du chemin. Tous les voisins s’arrêtent pour tailler une bavette et vous inviter à prendre un verre.
Toi la Bretagne ??
… Compatis de tout cœur à tes ennuis dentaires. Ce sont les préliminaires à ton opération de la hanche ? La date est-elle fixée ?
Doux baisers infirmiers
RE
Tu vas être en arrêt maladie assez long ?
Je te souhaite beaucoup de repos rêveur après les trépidations ferroviaires.
Penserai à toi lundi. Et même avant, en ce moment, par exemple.
État présent de ton esprit ?
Baisers
RE
Alors, tu es réveillé ? pas trop dans le cirage, puisque tu n’as jamais été endormi ?
Baptiste m’avait raconté la chose, on lui avait administré une bonne dose d’euphorisants avant l’opération ; il en gardait un souvenir étrange et humoristique malgré les désagréments.
Pas lu le livre de Beaussant dont tu parles.
Plongée dans la correspondance de Rilke, tas de points communs avec le parcours du jeune JJ Rousseau. Des théories intéressantes et foldingues sur l’amour. La fascination de la Russie orthodoxe, paysanne, slavophile, le récit d’une nuit de Pâques inoubliable au Kremlin, le branle d’une cloche nommé Ivan Je ne sais plus quoi, etc. Une capacité de transformer en événement métaphysique un spectacle furtif (un cheval entravé qui s’enfuit à travers la plaine russe) etc.
Les poèmes de Rilke ?? Dommage que je ne sache pas l’allemand, à travers la traduction, je trouve ça extraordinairement filandreux et verbeux, sauf quelques phrases qui fulgurent (« le beau est le commencement du terrible »), sans oublier des anges à tous les coins de page.
Fais-toi dorloter superbement, je peux venir te voir si tu me dis ce qui convient, horaires, durée de ton séjour etc.
Tendres baisers
RE
Hier, portes ouvertes au cercle Henri de Rochefort, annexe de Médéric, ma caisse de retraite cadres. On nous poupoune, on nous propose un tas d’activités (pas tout à fait gratuites). Irai-je au club d’investissement ? au yoga ? à la randonnée ? à la gymnastique douce ? à tout à la fois ?? pourquoi le prof de taï-chi n’est-il pas là ??
Je me suis appliquée à séduire d’un grand sourire en forme de filet de pêche tout à la fois l’investisseur aux yeux aigue-marine, la prof de yoga psychologue et la lilliputienne randonneuse (mon antithèse physique). Dieu que c’est facile de séduire quand on sait que comme une cendrillon diurne on s’éclipse à cinq heures !! et qu’on a comme rivaux un tas de petits vieux bien propres dont on sent bien que les animateurs ont une subtile nausée !
Et Dieu que c’est agréable de séduire !!
D’être séduite aussi…
Vendredi prochain, j’irai à Montparnasse pour prendre le départ d’une « randonnée d’essai » de 13 km. En espérant que mes lombes, mes hanches, mes jambes, ne me joueront pas de sales tours. Un peu la trouille que la lilliputienne aux yeux de marguerite ne s’aperçoive que la belle épanouie à qui elle ne cessait de dire : « vous qui êtes jeune…vous qui êtes jeune… », est une vieillerie rouillée.
À la sortie, promenade nez au vent dans ce beau quartier que je connais si peu… Magnifiques hôtels particuliers fin de siècle… façades brodées, sculptures, guirlandes de pierre, noms d’architectes et dates triomphant au-dessus de chaque porche…
Boulevard Malesherbes… Mon analyste habitait là (avant de déménager bd St Michel au-dessus de la librairie Puf).
Avenue de Messine, rue de Téhéran… Mon père travaillait là.
Ces noms, Messine, Téhéran, me faisaient rêver. Quel était cet ailleurs ?
Bon, je n’ai parlé que de moi. Et toi ?
C’était aussi une belle promenade, le boulevard Arago.
Je t’embrasse.
RE
Surtout ne jamais prendre sa retraite de séductrice (ni de séducteur) ! profiter du temps retrouvé pour cultiver tous les arts florissants de la séduction et du plaisir. Se débarrasser de ses préventions de pucelle effarouchée et de ses inhibitions d’ado boutonneux. Il est temps.
Médéric évoque pour moi le grand lycée hôtelier de Paris. Ne font-ils pas des stages de cuisine pour retraités et préretraités? Je t’y verrais assez bien: peinture et cuisine ont des tas de choses à voir; érotisme et cuisine, dans l’aspiration au partage des plaisirs et l’art d’accommoder le temps- ou de s’accommoder au temps.
La rouille n’a jamais été un obstacle: les galipettes cèdent la place à des mouvements plus lents et plus subtils. Amour et arthrose : tout un programme…
Quel fut le sort, déjà, des enfants obstinés ? Dois-je te ranger dans cette catégorie ? ou moi ??
Héloïse et Abélard, je me suis demandée en partant pourquoi DIABLE tu m’avais misça dans les mains !!
En train de lire la dernière biographie de Lou Salomé. A-t-elle vraiment couché avec Nietzsche ? Vous le saurez au prochain numéro.
Avec Freud, non !! (Sigmund préférait analyser sa fille Anna, ça restait en famille… et confier à Lou l’éducation complémentaire de la pauvre inhibée. Il s’était opposé par deux fois aux prétendants d’Anna, dont un de ses brillants disciples, anglais. Il se désespérait que la libido de la pauvre fille fut ratatinée et comptait sur Lou pour lui redonner un peu d’expansion. Qu’elle n’ait pas qu’un seul pôle de fixation : lui… Intéressant en diable !).
Lou n’aimait pas le terme de régression, trop abstrait. Elle disait « glissade en arrière ».
Es-tu rentré chez toi ? Remarches-tu ? te sens-tu des jambes et des ailes ?
Hier Annita chez moi. Ce vieux projet à trous-trous d’écrire ensemble. Cette fois-ci, il ne s’agit plus de jouer à quatre mains mais de nous « coacher ». Disons entraider.
Son urgence est maintenant d’écrire sur son père, qui vient de mourir, et dont l’accès lui a été interdit par sa mère. Comment gérer : un père fuyard et lâche ; une mère haineuse et folle ; et une vraie position filiale ?
Juste avant sa mort, elle et son père ont quand même pu se parler.
« J’étais enfin sortie du discours de ma mère. »
Yeux bleus qui me regardent immenses comme ceux d’un enfant. Léger strabisme. Immense demande maritime.
Prochain rendez-vous : je la fais parler sur son père, la relance au fil des questions qui me viennent. Travail de journaliste, de chercheur en sciences humaines ? « Pas envie de parler de mon père au psychanalyste » (mais à moi, oui ? je serais une alternative au psychanalyste ??).
On enregistre. Elle retranscrit, retravaille.
Quinze jours après, on se revoit.
Ma demande à son égard ?
Vraiment modeste.
« Ça va te paraître bête… Mon imprimante est en panne. Puis-je t’envoyer mes derniers textes, que tu me les imprimes ? »
Elle s’inquiète de savoir si elle peut lire les textes (oui). Me titille mine de rien sur mes rapports avec les hommes.
Deuxième fois ces temps-ci qu’on me gratouille à ce sujet : la première fois, c’était la psychologue du check-up post-retraite.
Étonnant ce qu’on peut dire de sa vie de femme dans un concentré de dix minutes !!
Le soir, deux psy formatrices Afccc à dîner chez moi (l’une revue par hasard à l’île d’Yeu fin août, l’autre poète à ses heures, membre du comité de rédaction de Dialogue, pas universitaire pour un sou). On parle on parle. Question finale de l’une : Que veut la femme ? Freud se le demande. Mais moi, je trouve qu’on ne parle jamais de la sexualité masculine !! Et je me demande : que veut l’homme ?? »
Je te transmets la question.
SLAM
Je suis trop plein de moi.
Comme un bloc de béton
Ou comme un chou de crème
Quand je creuse profond,
C’est Me, Myself and I.
Et quand j’admire les autres
C’est pour mieux les attirer
Dans mon monde ou l’Ozone
Longtemps s’en est aller
Et pour pouvoir y vivre
Mes proches plongent en apnée
Et s’ils ne veulent plus suivre,
Je mourrais, seul, noyé.
Je suis trop plein de moi
Comme un bloc de béton
Ou comme un choux de crème
Quand je creuse profond
C’est Me, Myself and I.
Mais ce poème c’est quoi sans vous et vos oreilles
Slam : vient des USA, sessions de poésie orale dans des lieux publics (cafés), n’importe qui peut débiter son petit po-po mais il y a des habitués, fondateurs, grands frères, clubs…
Le mot slam veut dire « claquer la porte » (« vlan »).
Il y a un site qui s’appelle slameur.com. Sans doute aussi d’autres, des écoles, des rivalités ?? faire sur le Web les deux mots « slam » et « poésie ».
Un pote de Rémy, Paul Cash, ex-gamin du Vésinet que j’ai connu enfant, protestant, musicien, créatif étrangement inquiétant, est un pilier de slam avec sa femme (Caroline). Officie au bar des Lucioles. Caroline propose une séance au PlexYGlass vendredi prochain de 21 à 23 heures… N’ai assisté qu’à une séance de slam, l’an dernier au salon du livre, j’aimerais hanter ces cafés, mais pas seule (voir avec Nadine M et Florence B), la nuit me fait peur, le retour en métro.
Y en a aussi je crois qui organisent ça dans les prisons, les écoles…
En attendant je surfe, beaucoup de textes sur Internet, certains de ceux que je t’ai envoyés (Nada ?? Koan??) m’impressionnent.
RE
Imprimeur de madame ?
J’y avais pensé.
Mais pas encore parlé. Ta hanche, ton opération, tout ça, pas le moment.
Les appareils me lâchent : samedi, le four fait une énorme gerbe d’étincelles, appartement dans le noir… Le disjoncteur n’a consenti à rejoncter que quand j’ai débranché le four. (Il y avait encore de la lumière dans l’immeuble, mais la rue Boussingault était devenue d’un noir d’encre).
Que veut l’homme ?
Tu as raison, la question est trop générale !
Que veut un homme, que veut tel homme, question plus pertinente.
(J’essaie de repérer cela dans la correspondance de Rilke. Pris des notes.).
Bonne hanche ! (L’autre, te fait-elle toujours souffrir ?).
Baisers slalomeurs.
RE
Premier mouvement : trouver que tu es sacrément difficile sur Nada.
Il a du nerf, de la rage, du jus, de l’énergie.
Deuxième : lire Rimbaud et les autres panthéonisés, oui, il devrait.
Agacement de te voir mettre si spontanément des notes !
Où en est ta marche ? Ton écoute de CD ?? Et qui lit les poèmes de Victor Hugo ??
Ce soir, un OuliPo (déménagé dans l’auditorium de la Bnf) et avant, peut-être, Leçon de musique place Gambetta (mais je n’ai pas d’information précise).
B Zés
RE
Amusant ce que dit Nietzsche de la fêlure dans la cloche… j’ai recopié de la correspondance de Rilke une expression dont la beauté m’a clouée (je ne sais si « beauté » est le mot juste, plutôt « justesse », justesse et saisissement) « Ils ont acheté quelques disques de chant grégorien ancien dont personne ne veut… une voix de castrat se mit à crier, à pleurer un requiem du Xiiie et Xive siècle comme du vent qui sortirait d’une fêlure du monde… »
Exacte impression que m’ont donnée les chants de la liturgie slavonne le premier soir où je les ai entendus, à Angers (vêpres) : un vent sortait de la fêlure du monde.
(Me demande si je ne radote pas et ne t’ai pas déjà servi cette citation… Déjà que je deviens sourde, si en plus je perds la mémoire !!)
Ici, la fêlure a une connotation positive, c’est tout le contraire d’une fausse note.
Le dispositif de prévention médico-psychologique mis en place en réseau par ma caisse de retraite fait un remue-ménage en moi. Cela ressemble à un rite de passage : on bat les tapis. Grand nettoyage d’automne !! Et pour la Nième fois chez la gynéco j’entends : » Faites du yoga (ou de la gym, ou des abdos) tous les jours, marchez 30 mn tous les jours, perdez 10 kilos…
Malgré tout, ça me soutient (dans la mesure où ça m’inquiète). Tenter de jouer le jeu.
(Quand elle me dit : vous feriez mieux de marcher que de rester des heures assise à votre ordinateur à faire des trucs intellos, je me demande si ce n’est pas ça que j’ai envie d’entendre en ce moment).
Grève des transports. Irai-je ce soir pédibus à la Bnf ??
Tu te dis hypersensible au rythme de la langue, prosodie, ne pas martyriser la langue : je suis en phase (comme dirait la Lune) avec ce bel aveu.
Fêlés ?
J’aime bien le mot de fêlure. Rilke était un peu fêlé, quant à Nietzsche ? Tu le connais mieux que moi, je ne demande qu’à être instruite (c’est comme Wagner, tant d’idées toutes faites ).
Tout à l’heure, FIAC avec Lucie.
Descendu à pied hier de chez moi jusqu’à la gare de Lyon (les 30 minutes de marche prescrites), en passant par la mairie du 13e… Ma première visite à un service social. Ça fait drôle !! Tout en sous-sol. Pas de fenêtres. Beaucoup d’employées (jeunes visages exotiques). Très peu d’usagers (croulants vieillards à canne). J’ai droit à une carte améthyste et à l’accès à des restaurants émeraude…
Est-ce un rite de passage ? Une descente aux enfers ??
Que veut l’homme ?
N’oublie pas : que veut l’homme ?
Indexical ou symbolique ?
Dans le mot de contingence, il y a au moins deux idées : celle de hasard (« ce qui arrive par hasard »), mais aussi, étymologiquement, celle de toucher. Le poème peut alors être compris comme l’opération de langage consistant à tendre une peau (celle de la page), où pourraient venir se prendre des événements imprévisibles, indécidables, irréductibles à la nomination ordinaire. Où viendrait résonner, diffracté, le tumulte du monde. D’où l’hypothèse que le langage, dans le poème, fonctionne de manière plus indexicale que symbolique. Ou plutôt d’une manière quasi-indexicale, car les mots, demeurant malgré tout des concepts, ne peuvent jamais vraiment rejoindre les choses, même s’il est, chez Rimbaud par exemple, des moments de « grâce », où la langue, écrit Alain Badiou, déclare : « Touché ! » (« La méthode de Rimbaud : l’interruption », Conditions, Paris, Seuil, 1992, p. 152).
… J’ai trouvé ça sur le Web et cela me stimule.
Mais que veut dire le mot « indexical » ? As-tu une idée ?
Besoin de partager… je continue mon patchwork de citations qui m’émeuvent (sur la chair du monde ? la présence au monde ? l’événement éclair fugace apparition épiphanie ??) ou me donnent à penser :
De Philippe Jaccottet :
« Un soir aux Eautagnes : tout semblait en suspens, l’ombre des arbres sur l’herbe plus légère que jamais, tout était à n’y rien comprendre, frêle et poignant de limpidité. »
Et encore : « L’effacement soit ma façon de resplendir »
Ou :
« M’étant penché en cette nuit à la fenêtre,
Je vis que le monde était devenu léger. »
En musique, ce serait la légèreté de certaines pages de Schumann (Bunte Blüter), de Ravel ou de Debussy, tout ce qui pourrait se résorber dans l’ineffable, mais qui demeure miraculeusement porté par le son, la justesse du ton que cherche Jaccottet, de sorte que la discrétion ne tombe pas dans la vacuité (et ici, du point de vue éhique, dans la gratuité.
« Ainsi croise-t-on, dans l’espace des livres, trop souvent désert, un compagnon de route. » Phrase de Jaccottet, je pourrais la dire.
Espoir que cela te donnera envie de te promener sur le site de la revue Noésis.
Baisers poétiques
Article J.C. Pinson sur Noésis
» un grumeau de désirs désespément vivant, un noyau vital qui résiste à la loi de dévalorisation ».
« une théorie de la poésie qu’il faut bien appeler, malgré les connotations religieuses du terme, épiphanique. D’une part, l’athéisme poétique, refusant tout arrière-monde, posant que le réel est sans double et sans Dieu, s’adosse à une ontologie où l’habitation du monde est celle de « l’infini comme notre séjour absolument plat ». Mais d’autre part, le poème, saisissant la contingence de ce qui « survient ici, sans profondeur et sans ailleurs » comme chance d’une « supplémentation », discernant « au point même de l’impossible la surrection infinie des possibilités invisibles », se met en mesure de produire quelque chose comme un « enchantement », enchantement apuré de l’ancienne nostalgie propre à la poésie.
On pourrait être tenté de voir là tous les éléments d’une poétique de cette « illumination profane » que déjà la poésie de Baudelaire parvient à faire surgir, dans le moment même où elle fait l’expérience de cette destruction de l’aura romantique »
…J’arrête là mes citations (d’un certain Jean-Claude Pinson ou Pinçon), c’était pour essayer de répondre dignement à tes subtiles réflexions et associations… Une fois de plus me voici à la bourre, coup d’oeil oblique aux Epiphanies d’Henri Pichette (pour être éclaboussée d’un grand coup de jeunesse, les slameurs devraient en prendre de la graine) et un tas de coups de fil à donner aux copropriétaires pour savoir si on garde ou jette le tapis d’escalier après pose de l’ascenseur, passionnant, tu n’imaginerais pas à quel point coûte cher la repose d’un tapis d’escalier par ailleurs abîmé – excuse mon incohérence, il faudra que tu me reparles de Frannçise Choay, je t’embrasse !
PS Pourquoi maintenant quand je fais ton nom un écran me donne-t-il à choisir entre deux adresses, dont une club-internet ??
RE
Docufiction
Tout m’intéresse dans ton mail, mais ce soir je suis trop crevée pour y répondre dignement.
Baisers d’une qui vient de passer l’après-midi à cogiter avec Alice, un jeune cinéaste de ses amis et quelques personnes du monde du spectacle sur un projet de « docu-fiction » : faire le portrait par facettes disparates d’un homme dont son fils ne savait rien. Le père vient de mourir. Le fils met une petite annonce pour toucher des personnes qui l’auraient connu. Chacun des participants est censé imaginer une, deux ou trois de ces personnes et écrire ce qu’il raconte au fils… Titre provisoire de ce docu-fiction : Parlez-Moi de Mon Père (petit problème pour moi : le père vivait dans le monde du spectacle et de la chanson, milieu que je ne connais pas. Quel personnage vais-je bien pouvoir inventer et qui soit crédible ?? Son ex-femme ? Sa vieille maîtresse ? Sa concierge ? Sa fille d’un deuxième lit ? Son inspecteur des impôts ?? Jacques Brel ??)
PS Ne parle de ce projet À PERSONNE. Il paraît qu’il est top-secret.
Magnifique description, qui me laisse (pour l’instant) sans voix.
Le temps de bien la lire.
Il n’y a pas d’os à atteindre, dis-tu ? Pas de noyau ?
Tu dis « déshabiller ». On pourrait entendre « réveiller » (la belle au bois)
Que veut la femme ?
Être enlevée (en langage psychanalytique : arrachée à sa mère)
Être réveillée. Être allégée.
(réponses toutes provisoires)
Elle aimerait bien, la femme…
… ou du moins cette femme-là, si tu pouvais lui imprimer ces deux poèmes (puisque tu me l’as proposé). Peut-être en deux exemplaires ? Exemplaires de travail.
(Je ne me vois pas donner à imprimer à Annita des poèmes sur Baptiste !! des poèmes méchants qui plus est, et injustes)
Que veut la femme ?
Être éditée ?
Je ne sais (mais si, je sais !). En tout cas donner à lire ce qu’elle fait à des éditeurs (POL) et puis peut-être réussir à boucler quelque chose et avoir des retours.
Baisers au convalescent.
PS Dans la troupe d’Écrivains dans la rue du Bac, je me demande s’il n’y avait pas ton idole, Michel Deguy. Je me rappelle surtout de Michel Chaillou et Henri Thomas
RE
Que veut la femme ?
Je vais commencer par des évidences : être aimée, être préférée.
Être tentée Être attirée. Être attendrie être intriguée.
Surtout, ne pas être fascinée. Subjuguée. Admirer cependant. Estimer.
Avoir confiance. Pouvoir oser demander. (Et, quand elle demande quelque chose, que le grand benêt ne lui dise pas que c’est une façon d’esquiver la question « que veut la femme » !!)
Rire aux éclats. Converser. Que l’homme réponde – non pas forcément à ses questions mais ait en lui du répondant.
Et puis : entre lui et elle, qu’il ne fasse pas tout le chemin à lui tout seul, qu’il lui laisse faire son chemin à elle (pas comme Gilles qui avait tellement peur que je ne fasse pas un pas vers lui, et qui faisait à lui seul les demandes et les réponses (manque de confiance en lui).
Qu’il l’emmène en voiture, en bateau, en avion. Qu’ils passent ensemble des frontières. Découvrent des endroits du monde.
Etc.
Suite au prochain numéro !
Que veut la femme ?
Sujet inépuisable.
Un don sans cause suffisante
Du donné qui excède sa cause
Que veut l’homme dont tu parles ? Ton homme ?
Jardiner. Métaphores sarcleuses, laboureuses.
Curiosité ? Voir ce que les autres ne voient pas? Voir germer ?
Comme dirait B., « exister, c’est faire sentir ce qu’on a de spécial en soi. »
Frappée par le tendre moelleux de tes propos actuels (par écrit mais pas seulement).
Je me souviens de ta violence, qu’en as-tu fait ?
Ta violence, c’était ce mur de mutisme et d’imploration sensuelle auquel je me suis heurtée parfois. Pas un mot qui sortait – ni d’un côté ni de l’autre. Gorge coincée. Excès. Du trop.
Du pas métabolisé pour un sou, comme diraient les psy. Du brut.
Bon, j’arrête là. Un rendez-vous
Baisers pots de fleurs.
RE
Pourquoi pots de fleurs ?
À cause du jardinier que tu es.
Merci pour tes impressions de mes textes, bien reçues.
Plaisir de revoir sur l’enveloppe ton écriture fougueuse. C’est tout de même autre chose qu’Arial 10 !!
Le nu comme masque ?? Justement, j’en viens, du nu.
J’étais en colère. Plus Frédéric, plus Lucie… plus Nicolas. C’est désormais moi la meilleure. Déprimant.
Et cet ectoplasme de Laurent G. Et aujourd’hui, modèle peu inspirant. Grande bringue.
Laurent a un quart d’heure de retard. Pas gêné. Ne s’excuse pas.
J’ai essayé de dessiner ma colère. Grands traits rageurs. Cela n’a pas donné grand-chose, sauf que je me suis dit que c’était quand même une bonne idée de dessiner avec colère.
Le Moi-peau, de Didier Anzieu, l’as-tu lu ? Faudrait que je m’y replonge, grand bouquin. Moi-peau, enveloppe psychique. Anzieu disait avec modestie que le moi-peau n’était pas un concept mais une métaphore.
Peau, papier, tatouage
Baisers oignons de tulipe (je viens d’en acheter)
RE
Merci de me rappeler que metamorphosis se traduit par transfiguration. Cela me parle toujours.
« S’élancer en riant dans la transfiguration » : vers boiteux.
« S’élancer en riant dans la métamorphose » : oiseau sorti d’un poème poussif où j’ai tenté de faire un lien entre l’ULM de Ré, le cheval de Shé et la peinture d’Ol (j’abrège les prénoms) intitulé L’ange 1 (bête jeu de mots) ou : « Le père vole, la mère peint, la fille chevauche ». J’ai eu du mal à faire s’envoler le cheval – je veux dire le poème –, en a quand même surgi ceci que j’aime bien :
Qui ne veut s’élever ? Qui ne voudrait voler
Pour voir enfin d’en haut la Terre et ses toits roses
Comme un puzzle de carrés plats, une immensité de tableaux
Délivrés de la perspective ?
J’essaie de retravailler ce texte (nourri qui sait de certaines des nos conversations électroniques sur la perspective) pour l’aérer. Comme on bat les tapis, on bat les poèmes.
Toujours Rilke et Lou Salomé. Énigme de ces poèmes interdits puisque j’en ignore la langue.
Mon amie Noëlle la trotskyste : « Imbu de lui-même, Rilke. Haïssable ». J’essaye de la persuader que le moi qu’un homme pris par « une force qui va » n’est peut-être fondamentalement pas un égo narcissique, plutôt un « je est un autre ».).
Sur la fin de sa vie, Rilke a connu Supervielle, lui a dédié ses poèmes en français (Vergers), que j’aimerais trouver, quoi qu’on les dise médiocres.
Supervielle : très vieil ami à moi (mieux que cela : frère). Relisant hier soir la Fable du monde et Oublieuse mémoire, me dis que c’était lui qui fait du Rilke en français. Enfin, pas tout à fait. Pas d’anges. Mais un Dieu « atténué ».
« Je crois beaucoup en la vertu au sein du poème de certaines phrases de prose ».
Moi aussi, frérot.
Tout cela te rase ? Moi ça me passionne.
Mon problème : comment ne pas rester enfermée à soliloquer dans un monde magique ? comment transmettre à mes petits-enfants cette arme d’acier étincelant qu’offre la poésie pour ne pas se laisser prendre aux grasses platitudes du siècle ?
La poésie, une arme de combat ? Le poème, mon petit ULM ?
Vouloir se faire éditer, c’est vouloir transmettre.
J’ai bien lu tes conseils sur une édition Internet. Certes. Mais l’un n’empêche pas l’autre.
Cahier Malévitch : pourvu qu’il soit encore en kiosque.
Hier, réunion « cousins germains » chez Rémy (mon initiative) : mes enfants et mes neveux Philippe et Laurent (avec femmes et familles, même que ma belle-sœur Jacqueline est venue). Beau temps, belle ambiance. Après, visite des ateliers Portes Ouvertes de Montreuil (on en a visité trois sur 120, pas mal !)
Cet aprèm’, pièce de théâtre Artaud à la Villette. Grandes affiches dans Paris.
Heureusement que Noëlle la trotskyste m’a téléphoné pour me dire qu’elle avait la crève et ne viendrait pas, sinon j’oubliais.
Galopes-tu comme un petit cheval ? Est-ce toi qui as mis à la boîte aux lettres ce que tu m’as envoyé ?
Baisers insomniaques (je n’ai pas dormi cette nuit, du coup je suis bien réveillée)
RE
Petit mot en courant avant la badiouserie du soir. Reprise de « S’orienter dans la pensée, s’orienter dans le siècle ».
À propos de Badiou me reviennent tes associations sur l’infini comme à-plat, je voulais y réfléchir mais le torrent m’a emportée. L’allusion aux à-plats m’a fait penser à Matisse, après, j’ai perdu le fil. Penser l’infini dans le plat, le contingent, l’immanent : pas d’arrière-mondes. Pas de lointain qui hante le proche. Aucune évocation d’un ailleurs. Tout sur la toile (pas très bien compris ce que c’est que l’infini pour Badiou, mais il veut sauver le « Grand Art », ce projet de sauvetage ou de résurgence me convient assez, ainsi que la nostalgie qui le colore).
Après-midi avec Bérénice, on a été voir de Basquiat à Picasso au musée Maillol. Très bien.
Pardon d’avoir tardé à te répondre. Émue que tu te penches sur mes problèmes d’imprimante – tu as bien fait de me pas m’acheter celle à 29 euros USB, car c’est USB que mon PC ne reconnaît plus – en fait, ce n’est pas l’imprimante qui merde, c’est plutôt le fait que mon PC a perdu la liaison avec elle. En tout cas, merci d’y avoir pensé.
Je serai bien heureuse que tu passes me voir, mais cette semaine ça ne va pas. Je pars pour Amiens ce WE, la semaine prochaine ça ira (peut-être) mieux.
Acheté en compagnie de Bérénice à la Hune les poèmes de Dadelsen, Bach en automne, et Jonas. Vraie émotion en ouvrant le livre dans le bus. Petit swing et souffle long, amples respirations. Le début de Bach en automne m’évoque « les Pâques à New York » de Cendrars. Connais-tu ce poème ? Je n’oublierai jamais le soir où je l’ai entendu réciter, peut-être par Jean-Marc Tennberg, peut-être à la radio, années 70.
L’idée m’est venue de connaître Dadelsen en lisant un roman de Florence Delay, Trois désobéissances. Elle en parle. Elle parle de Jonas, de la Bible. Elle donne envie d’y aller voir.
Au fait, j’ai acheté le Malevitch du Monde. Tu avais raison, ça vaut le coût.
Baisers
RE : Convalescence, convalescence, convalescence… tu y as bien droit, non !
» Mais à quoi serviraient les pédales des orgues, sinon
À signifier la route indispensable ?
Sur ce chemin de bois, usé comme un escalier, chaque jour, que ce fût
sous les trompettes de pâques ou les hautbois jumeaux de Noël,
sous l’arc-en-ciel des voix,
de borne en borne répétant mon terrestre voyage, j’ai arpenté
La progression fondamentale de la basse »
C’est un extrait de Bach en automne (pour ta culture automnale renaissante).
Encore de l’orgue :
(je laisse en blanc, écoute).
Je te recopierai « les Pâques à New York ». Belle occasion de les mémoriser (il faut exercer sa mémoire, quand on est retraité ! faire des abdos ! marcher une demi-heure par jour ! prendre des résolutions toutes les demi-heures ! Si, si !!)
La demi-heure, je viens de la faire entre un rendez-vous ORL rue Dunois et la rue Descartes, pour écouter Deguy interrogé par une jeune femme incroyable de minceur, de musicalité vocale et d’à-propos philosophique. Quelle aisance chez cette liane, dont la voix sortie de je ne sais quel miracle du siècle valse de Kant à Nietzsche tout en psalmodiant Derrida. Mon grand corps affalé et voyant se demande ce qu’il y a de commun entre cet être-femme et moi.
Pull rose, tennis rouges, je me tortille au premier rang dans l’amphi B et compte onze personnes dans la salle. Quand il arrive dans l’antichambre de l’amphi, je reconnais tout de suite Deguy, manque me lever pour lui dire « Me reconnaissez-vous ? les déjeuners du Chemin? » Mais trop lourde et trop lente, je laisse passer l’impulsion, trop tard.
Pas de regrets, c’est passionnant – ça s’enchaîne avec soirée Badiou d’hier.
Badiou veut revoir galoper le Grand Art, donner un sens contemporain au mot « éternité » – sans Dieu, naturellement. Deguy (athéisme lucide), pour qui il ne s’agit pas de détruire les figures anciennes de croyance, mais de « refaire de la révélation avec de la profanation ». Pas mal ! Sans oublier la métamorphose : apparition-disparition-réapparition-en quelque-chose-d’autre (ou quelqu’un d’autre?) (Est-ce que ça colle avec « transfiguration » ??? Lui il dit : « translation »).
Vieux lion au beau visage de granit érodé. Posture pensive de la mélancolie, large main soutenant la joue qui s’étire et masquant le pli légèrement dégoûté de la lèvre inférieure.
« J’ai été élevé catholiquement, dans un monde dont on n’a même plus idée… Que faire de la tradition, de la religion, de la résurrection ? Nous qui du passé ne faisons pas table rase et qui recevons dans la langue des reliques, est-ce que ça va perdre tout sens ? Il y a des fables constituantes….
« … En tant que telle, la transcendance, c’est l’exigence, le sublime. Que faire du haut ? de l’élévation ? Comment retendre la verticalité ? Dégoûtante société, qui abrutit la libido. Relance incessante de la convoitise. La libido s’effondre sur elle-même. Or une civilisation requiert du désir – et la libido bien sûr n’est là que comme réserve pour la sublimation – elle est là pour retendre la sublimation. » Etc.
Tout ça à propos d’un livre qui s’appelle Un homme de peu de foi, et d’un autre qui s’intitule Sans retour (si j’ai bien compris).
Suite du café philo au prochain numéro.
Je laisse en blanc ?? Je voulais recopier un deuxième passage de Dadelsen (Bach en automne) sur l’orgue (ce poème est une sorte de prière du vieux Bach à l’automne de sa vie). Me reviennent quelques phrases de toi à propos d’un slameur féroce, ton amour de la langue, du phrasé musical. C’est ce phrasé qui m’enchante. Je te recopie le passage mais tu dois lire l’ensemble pour avoir la musique. Tu dois !!
« À travers la futaie de l’orgue le souffle qui chantera la gloire du Seigneur
Est à larges semelles boueuses pompé par le fossoyeur sacristain.
Dans son effort boiteux sur le soufflet, le bonhomme, tête levée,
Bras à la barre, les jambes écartées, figure une difforme
Étoile pentagonale.
À mi-chemin entre l’origine et la perfection des temps,
Cinq est le chiffre de l’homme, irrésolu parmi les choses certaines,
Désordre essentiel dans la balance du monde. Arbre mobile,
Animal hésitant, ange aveuglé, Adam dresse dans la lumière
Le cri de son infirmité.
Seul le noyer mûrit encore ses fruits tardifs, pareils à nos cerveaux.
Le vent qui parmi l’herbe et sur les eaux sème son gain de feuilles
Bientôt nous ouvrira l’espace encore voilé.
A la fenêtre de ses nids caducs, l’hirondelle en tumulte
Crie vers son autre pays. Bienvenus,
Soir de notre journée, samedi de notre vie, saison aux mains ouvertes !
Seigneur, je suis content. »
Annita vient de m’appeler. Sa sœur schizophrène maniaco-dépressive veut se jeter de la tour Eiffel. Son impuissance. M’a appelée samedi, paniquée. Une semaine de conversations diverses l’ont apaisée. « Accepte ton impuissance. Tu n’es pas toute-puissante ». Chose qu’on m’a dite à l’Afccc après la noyade de mon frère Jean-Pierre. Qui m’avait apaisée.
La conversation continue. Elle parle. Ce qu’elle attend de moi. Ce que je représente pour elle. Et toujours si peu nous parlons de Baptiste ! Soudain, gros comme une maison, cela me vient : « mais elle veut la place de Frédéric ! »
Frédéric, elle veut ta place ! Parler poèmes, parler philo, parler littérature, parler cuisine, parler baisers ?? Non, elle ne va pas jusque là.
Mais ses yeux bleus mouillés sur moi ? Enfantins ? Bouleversants ?
Qui suis-je, sous ses yeux bleus ? Sorte de psychanalyste mais pas technique, pas psy. Littéraire. Humaniste. Autre chose. Existentiel.
Et moi qui suis-je pour toi ?
Ne réponds pas. Je te dirai plutôt ce que tu m’as apporté.
Depuis que nous écrivons, l’impression que je me retrouve un peu. Me trouve un peu. Me redresse. Moins incertaine de moi. Moins lovée complaisamment dans mes doutes.
Me discerne un peu plus. Me déteste un peu moins. Moins informe.
De cela, je te remercie.
Et comme dirait l’autre :
« Soir de notre journée, samedi de notre vie, saison aux mains ouvertes !
Seigneur, je suis contente. »
PS. Et puis, depuis que je suis à la retraite, je ne dis plus que des choses que je pense vraiment. Ce qui n’était guère le cas à l’Afccc où j’étais obligée d’être une sale hypocrite, vice pour lequel je manifestais de vrais dons. Cette obligation de ne jamais dire qui on est vraiment doit être une des tortures du monde du travail.
RE
Pas la peine de trop me répondre, je me demande si je ne me suis pas laissée aller à une bouffée d’angoisse transformée en bouffée d’élévation. En effet, après t’avoir envoyé ça, je me sentais mal comme si j’allais mourir dans la semaine. Pensais à de faire mon testament, à demander à Clara si elle voulait que je lui lègue la maison de l’île d’Yeu. etc. Tout ça à cause de ce satané bilan médical dont je n’ai pas encore tous les résultats, plus une malencontreuse lettre recommandée que la poste avait égarée…
Dimanche, belle promenade la tête au soleil et les pieds dans la boue sur les bords de la Somme, fleuve aux contours imprécis. De l’eau à droite, de l’eau à gauche, partout étangs, marais, berges gluantes. Très beau de marcher au milieu des eaux sur une sorte de digue. Les chasseurs canardaient, sur l’autre rive. Les pêcheurs pêchaient. « Qu’est-ce que vous attrapez , » a demandé Francis. « Un rhume ! » a rigolé le pêcheur.
Je te souhaite une belle Bretagne (merci de la photo, je crois reconnaître Plougrescant) Aujourd’hui, ici, il pleut et le vent tourbillonne. Parlons de la pluie et du beau temps !