Retour de Vallouise. Perte de continuité. Je peignais, peignotais. Ça s’interrompt.
Écrire un poème par jour, depuis début 2006, interrompu aussi. Cassé.
Exercice peut-être lié à ma correspondance avec Fr ? Sans doute à une croyance, une foi, une espérance, concernant cette relation. Qu’on allait inventer quelque chose, ouvrir un sentier inédit dans la jungle des villes.
Mais ça a capoté. Trop de ronces. Peut-être ça s’est cassé la gueule le jour du cadeau excessif de Monsieur m’apportant une palette graphique pour mon PC. Ce genre de cadeau, gentil en apparence, c’est trop. Surdosé. Lordosé.
Surtout que je n’ai pas été foutue de lui dire tout de suite, et tout naturellement : « les grands esprits se rencontrent, figure-toi que c’est exactement le cadeau que m’a fait Rémy à Noël… » Il aurait rempoché sa surdose.
Peut-être nous aurions ri de la coïncidence. Quelque chose aurait été dit, ri.
Mais non. Voulu être gentille. Pincé les lèvres. Hypocrite, peureuse, ne sais pas. Surtout ne pas le vexer.
C’est à analyser ce moment d’inhibition où l’on ne se sent pas libre avec l’autre : on va lui faire croire que, faire bonne figure. Dis merci au monsieur quel cadeau super juste ce dont j’avais envie, besoin…
À vomir ta façon de donner de l’encombrement et non du nécessaire.
(La prochaine fois, apporte-moi un nécessaire de couture !)
Même à Rémy à Noël pas foutue de dire que c’était un peu encombrant son truc… Surtout avec mon imprimante qui ne marche pas. Tu y as pensé ou tu t’en fous ?? Ou bien c’est ton humour bien particulier. Je t’offre un truc c’est pile ou face, peut-être que justement tu ne peux pas dans l’état actuel t’en servir ??? On verra bien. Jugement de Dieu.
Et est-ce que ça ne vient pas compenser le fait, mon grand, que tu n’as pas été foutu de te déplacer pour réparer ma machine ?
« Comment, tu as deux fils informaticiens, et ils ne sont pas fichus de… ??! »
Ben oui, c’est comme ça. J’AI deux fils, comme tu dis. Du verbe AVOIR.
Écrire, oui, bien joli, vital, mais pour se faire lire de qui ?
M’y suis mise pour donner des nouvelles de moi à Fr. Un peu longtemps que ne lui ai dit quelque chose de vrai. Non, erreur. Lui ai dit quelque chose de vrai à son retour de Tunisie (supporte ma tristesse sans me donner de bons conseils pour tout résoudre comme tu le fais d’habitude). Depuis, plus de vraies nouvelles de lui. J’en souffre évidemment, qu’est-ce qui se passe ? Et ma propension, ma facilité à penser que finalement ce n’est pas un ami mais un petit con, susceptible comme un pou ou plutôt comme un mec. Pas touche à sa vanité de mec. Ou alors simplement il s’engloutit dans son boulot ??
Bref, je le perds de vue. Nous nous perdons de vue. Mais justement sans en parler. Quelle stratégie adopter ?? Attaquer de front ? Louvoyer, faire comme si de rien n’était ??? Patienter, comme je l’ai si bien fait, si mal, si bêtement, si lâchement, avec mon amie Cléa ?
« Mais dis quelque chose ! ! J’en ai marre, que Dominique ne dise rien ! ne dise pas ce qu’elle pense ! Si fade ! Si terne ! Si hypocrite, qui mâchonne d’un air supérieur ses petites pensées sarcastiques !! »
C’est pour ça que je prends ces notes. Ce malaise.
M’écrire à moi-même, puisque je ne sais plus qu’écrire à Fr (continuer ma petite chronique ?? jeter à son adresse les cailloux blancs qui balisent mon chemin, le prendre pour un alter ego virtuel ?).
Bizarre. J’ai écrit « je ne sais plus qu’écrire à Fr. » Lapsus. Je voulais sans doute dire : « je ne sais plus écrire à Fr ??
*
Il n’y a pas que Fr au monde. J’ai téléphoné à Bérénice, me suis rapprochée de Bérénice, ai oublié ma bague chez Bérénice… Ai lu le manuscrit de Bérénice sur la vieillesse et la mort de son père (le réaliste et la rêveuse). Choc. Pleurs. Là aussi, ça m’a mis la tête dans le sac. Très dur. Qu’avais-je vécu, moi, avec mes vieux parents ? Si peu de mots ! De sentiments exprimés ! D’émotions partagées ! Et elle ! Tous ces mots, ces promenades, ces déclarations avec son vieux père !!
Ça aussi, il faut le supporter : la pauvreté de sa vie. Sa pauvre vie.
Bérénice, ton texte m’a fait pleurer. J’ai pleuré, sangloté.
Ça fait quoi, au juste, de pleurer, lorsqu’on passe sa vie à faire bonne figure ??
*
Écrire, m’y remettre, pour me faire lire de qui ?? Annita ??
(Bizarre, je ne pense pas à Baptiste !)
Justement, Annita, pendant que je suis à Vallouise, me laisse un messager, je veux dire un message, je laisse la coquille. Elle anime un stage à Vers sur la complexité, elle m’invite (quand même 800 euros d’hôtellerie, aïe… mais il serait temps d’arrêter de m’abriter derrière les « je ne peux pas, pas les moyens »). Donc, je commence prudemment par être très réticente, peux pas le lundi, manque d’argent, etc. etc. Bonne réaction, car après m’être ainsi débarrassée du désir de l’autre, je peux entendre le mien qui bêle dans le lointain : eh, pourquoi pas ?? Pourquoi louper cela ? Cette occasion ? Cette invite ?
C’est bien ça le problème avec Fr : il ne m’invite à rien.
Du coup, en creux, j’apprécie les invitations de ceux qui m’invitent, Annette à Vallouise, Annita à Vers, Bérénice au théâtre de la Colline…
Mon cher Fr, je supporte de moins en moins que tu pénètres chez moi alors que moi je suis (à cause de ton goût du « cloisonnement ») interdite de franchir ton seuil. Tu trouves ça élégant ? Ton seuil de quoi, d’ailleurs ? Tu en rajoutes au petit jeu du chat et de la souris, de la clandestinité sans raison. Es-tu pervers ou quoi ?
Difficile de lui dire, à ce bienfaiteur et ami, que ça me pèse qu’il entre chez moi maintenant. Trop déséquilibré. Deux poids deux mesures.
Ton gros poids. Ton énorme pression.
Même pas foutu de m’inviter au cinéma !!
Il n’est pas bête. Il l’a saisi, que je ne rugis pas d’enthousiasme quand il sonne. Que je n’en redemande pas.
Son goût du cloisonnement, du secret : goût du pouvoir ? plaisir de faire pression ??
Dommage, Frédéric. Tu aurais pu être un ami.
Mais trop de manœuvres. Trop manœuvrée.
Et moi, trop de rancunes. Je n’oublie rien.
Pire que la mule du pape.
Pas oublié le plus petit rejet de ta part, pas la plus petite incompréhension.
Pas pu évacuer tes dénégations.
Elle est restée gravée dans ma colère ta façon de jeter par dessus bord comme si ça te brûlait les doigts ma méditation sur la phrase de Colette : « j’ai jeté une plainte qui m’a révélé ma voix ». L’idée d’avoir à écouter ma plainte, la plainte féminine, la plainte humaine, ça t’a bien fait fuir ! Toi qui adores le Lamento d’Ariane et la musique baroque !!
Ma plainte. Ma plante.
Mes géraniums sur la fenêtre de la cuisine. Tous les matins je les regarde pousser le contre-ut.
Soudain, furieuse envie de fumer.