De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Vivement tes poèmes
Date: samedi 4 février 2006 20:04
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Pas facile, d’envoyer ses poèmes en chantier à imprimer à autrui ! Heureusement que c’est toi !! (Tu peux lire, j’aimerais même, mais tu n’es pas obligée)… (Bizarre, c’est comme si mon ordinateur sagace s’était mis en panne d’imprimante pour m’obliger à le faire lire…)
C’est écrit en couleur, marron ou bleu, est-ce que ça te pose un problème ? Et du papier, je peux t’en donner quand je te vois.
Baisers
PS Il y en a une deuxième liasse… J’espère que ton Mac saura lire mon PC
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice
Objet: Re: Vivement tes poèmes
Date: samedi 4 février 2006 20:55
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Une fois de plus mon PC a été rétif à t’envoyer mes poèmes… mais ça y est. J’ai débranché et rebranché la freebox, c’est reparti. Ah, la technique !
Merci de ton mot adorable, je note ton numéro de téléphone 08. Moi aussi j’ai un numéro 08, c’est là que tu m’as appelée ce matin, comment as-tu fait ?? Il n’y a que Clara qui ait noté ce numéro, mais c’est de là que je téléphone habituellement…
Baisers de début février
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: parole de petit chien pissant à la porte des artistes !
Date: lundi 6 février 2006 19:47
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Te réponds tout de suite, émue, ne sais pas quoi dire, adore ta version raccourcie du petit chien pissant, que répondre ? il y a plein de phrases qui me viennent »comme ça » et que je ne suis pas sûre de reprendre tout à fait à mon compte (je est une autre), exemple « Ajouter au bas de leurs lignes / son propre patronyme », mais c’est venu, salut, j’attrape, d’où ça vient ? Peut-être il s’agirait de rendre hommage à mon père et à son patronyme désarrimé (père ayant foutu le camp quand il avait 2 ans, totale ignorance de cette lignée, avec tout ce qu’on raconte sur la loi du Père !!) ? Bref, je veux bien en discuter, ma chère et modeste orgueilleuse ! De toutes façons, l’orgueil est une vraie question, quand on n’a plus de vanité, on redouble peut-être d’orgueil, tout en le déguisant sous des airs ahuris…
Mais moi aussi je cherche ma petite musique… mon petit ton à moi dans le concert des autres (et m’enivre en ce moment de France musique, délaissant France culture)
Bref, je suis émue, émue, émue par ta réponse !
Toi, tu ne m’enverrais pas quelques pages de toi ?
Tendre baisers, veux-tu venir déjeuner un jour (pas jeudi ou vendredi, j’ai Bastien) ?
MN
PS : ton ordinateur a commencé par m’envoyer un texte troué, admirable d’hermétisme lacunaire (les accents aigus semblent l’avoir perturbé). Excitant comme des pages arrachées aux sables! A la suite, il y avait la version en français moderne
PPS Question technique bis : dans ce que je t’ai envoyé, il y avait des mots masqués, traces d’hésitations et ratures, mais que tu as démasqués (je suis sûre que le petit chien qui pisse était en caractères masqués !!). D’où ma question : est-ce que ton mac a pigé que c’étaient des caractères masqués, ou a-t-il tout imprimé ??
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Vivement ta publication
Date: mardi 21 février 2006 11:51
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Magnifique, ton réaliste et ta rêveuse (mais n’est-ce pas plutôt toi la réaliste, et ton père n’était-il pas un rêveur ingénieur rationaliste ?).
À la fin je pleurais. Très bouleversée.
Que t’a dit l’éditrice ??
Tendres baisers
Marie-Noëlle
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Merci !
Date: samedi 25 février 2006 14:52
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… Finalement, je n’ai pas été à la pièce de l’Oulipo. J’avais Shérane à la maison, nous avons couru à 2 heures voir un film de son choix (Le chien jaune de Mongolie, très beau, j’adore les yourtes et les steppes, la vie des Mongols me fait penser à la mienne à l’île d’Yeu… sauf qu’eux, plus malins ou plus évolués, ont de petites éoliennes ou des panneaux solaires pour se faire de l’électricité)… Bref, le soir, aucune envie de voir un autre spectacle. Nous nous sommes abîmées devant le patinage artistique des JO, et ensuite je lui ai mis des ventouses parce qu’elle toussait et que je n’avais aucun sirop sous la main.
Vieux souvenir d’enfance, les ventouses, mais pas très efficace semble-t-il – je ne les lui ai pas laissées longtemps, parce que son dos devenait d’un rouge violacé effrayant !
Novarina ?? Why not ? Le titre de la pièce est furieusement beau.
Bises
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: sans ventouse, j’espère.
Date: lundi 27 février 2006 20:42
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J’ai raté l’Oulipo, mais suis allée avec les garçons voir Ionesco, la Cantatrice chauve et la Leçon… Bonne élève, comme toujours, j’avais retenu pour les deux pièces (une heure chacune), mais j’ai regretté… Ces pièces se donnent sans interruption depuis 48 ans dans le minuscule théâtre de la Huchette, et j’ai trouvé que ça avait sacrément vieilli… Lourdingue, répétitif, archi-connu, plus original du tout, sans compter les acteurs ridés et postillonnant hideusement… Comme le théâtre est minuscule, aucun de ces détails n’échappait… Les garçons ont été mitigés, moitiés intéressés et moitié « bof ».
Nos 66 ans à l’Espace furieux ?? Bonne idée !! je vais voir pour plus de détails sur Internet comment faire pour louer, donne moi des dates (j’irai sûrement à l’île d’Yeu, mais pendant les vacances scolaires, cours de yoga oblige)
Un concert au Théâtre de la Ville le samedi 11 mars à 17 heures t’intéresse-t-il ?? (M. Perenyi, violoncelle, et D. Varjon, piano, sonates de Beethoven, Prokofiev, Saint-Saëns, Debussy… ça dure environ 1 h 30 et ce sont des Hongrois… j’ai un abonnement (pris avec Noëlle, amie de khâg(n)e et aussi écrivain (à la Différence), et une certaine Françoise, comme elle ex-correctrice au Monde), moi je serai à la montagne ce jour-là, je peux t’envoyer le billet…
Baisers tendres
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Le 8 mai ?
Date: mardi 28 février 2006 16:17
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Jongler avec tous ces possibles sur le Web, c’est amusant et irréel… Pour le 8 mai, je scrute mes envies de bord de mer combinées à mes cours de yoga plus autres activités palpitantes. On a le temps.
(J’ai aussi louché sur le Cid monté par Brigitte Jaques, avec Shérane, pas très simple non plus puisqu’elle est à l’école à Toul… Je suis quand même contente de lui avoir fait découvrir Nougaro vendredi… Ce qui a fait tilt, c’est « une petite fille en pleurs… »)
La sensation de bague sur mon auriculaire est toujours là (se superposant à la sensation d’une très vieille foulure ou fêlure faite au volley-ball qui se réveille par moments, genre madeleine de Proust…)
Je t’embrasse,
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Le 8 mai ?
Date: samedi 4 mars 06 12:41
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J’ai ton manuscrit aussi à te rendre, cela doit te manquer ?
Je pars lundi soir. Éventuellement peux passer chez toi dimanche après-midi te rendre l’objet et récupérer le mien (et t’apercevoir), mais rien ne presse. Dis-moi.
Très belle leçon de musique hier soir à Boulogne de jean-François Zygel sur « Mozart et Bach ». Un vrai cours de contrepoint, de composition. Très intéressant. Le contrepoint, la fugue, ce sont des compositions carrément oulipiennes, la musique ne s’alimente de presque aucun apport extérieur, mais répète, décale, inverse, dédouble, triture et martyrise à l’infini une seule petite phrase musicale intitulée « le sujet » (avec parfois, quand même, une sorte d’interlude appelée « divertissement »). Sujet, contre-sujet, réponse… ça me plaît bien.
Il est clair que mon intérêt actuel pour la musique est aussi (et peut-être surtout) un immense intérêt pour le langage sur la musique… !
Je t’embrasse
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: bon anniversaire !
Date: lundi 3 avril 2006 16:07
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D’accord, on n’est que le 3, mais il paraît que ça se souhaite la veille !
Donc, très bon double 6, comme aux dés – c’est ce qu’il y a de mieux –, chère et très provisoire aînée !
Revenue de mon séminaire sur « Complexité et décision »… Contente. Gens passionnants. Gentils en plus.
Je croyais être assez marginale dans l’affaire (le cheveu sur la soupe), je pense à présent avoir été invitée pour constituer un élément de choix du scénario « complexe » mis en situation par Annita et ses deux compères… Une situation est dite « complexe » (paraît-il) quand elle comporte des éléments aléatoires et imprévisibles. Bref, j’étais l’indispensable aléa !! (avec la sculpteur libanaise, aussi bizarre que moi dans le tableau, et qui a bien piaffé !)
Impressionnée par Annita. C’est beau de voir un être humain qui marche à plein régime, crépite de toutes ses connexions et jointures. Beau comme un voilier de course quelqu’un qui fait un travail qu’il aime, qu’il a mis sur pied et dont il répond entièrement (malgré les assauts de la responsable de formation EdF et d’un des consultants, qui étaient venus chercher des « outils » et recettes immédiatement applicables… jusqu’à ce que le biologiste co-animateur s’exclame en rigolant : « On dirait que c’est la première fois que vous vous trouvez dans une situation complexe !).
Beau temps, superbe paysage (bien qu’avec tous ces oliviers on ait un peu de mal à le voir autrement qu’à travers les yeux de Van Gogh).
Ci-joint photos : Annita, le Pont du Gard et un olivier vieux de onze cents ans
Je t’envoie 66 baisers, MN
PS Voila-t-il pas que mon ex-directeur de publication me demande de rempiler… Ils cherchent une « free-lance » pour être « responsable éditoriale » (secrétaire de rédaction en fait, tout le sale boulot, relances, liaisons, paperasses, mais pas les décisions de fond…) et ont pensé à moi…
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: hélas…
Date: dimanche 30 avril 2006 22:47
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… pas pu ouvrir ton document joint avec ton texte de Bonnard !! Zut !
Sais-tu que Picasso reprochait à Bonnard son « indécision » en peinture ?
J’ai ramassé sur le Web tout ce que j’ai trouvé en fait de reproductions de tableaux et en ai fait une « galerie Bonnard », je peux t’en faire une copie.
Sinon : je suis entre deux trains. Une semaine à Toulouse chez Jeanne ex-F, belle ville, il a fait beau, elle m’a entraînée dans tout son petit monde et je m’y suis un peu diluée (mais la dilution ça me connaît). Je repars mercredi pour l’île d’Yeu en souhaitant qu’il ne pleuve pas, avec pour objectif de mettre en état la maison et de faucher l’herbe, le reste du temps me laisser vivre, faire du vélo, écouter le bruit de la mer…
Je t’embrasse,
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: hélas…
Date: dimanche 14 mai 06 21:20
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OK pour 6 heures, mardi, où, chez toi ? On parlera Bonnard ? …
Moi aussi, ça m’a épatée ces silhouettes de jouvencelle trente-cinq ans après les vingt ans ! Et ces têtes de poupée de son ! Me suis plongée dans la sombre histoire de B avec Renée Monchaty (l’autre femme). Elle était peut-être là, l’indécision ? Fuguer avec Renée mais ne pouvoir lâcher Marthe ? Qu’il ne voulait pas tellement épouser, semble-t-il (alors qu’on en a fait le peintre emblématique du conjugo).
Je continue la construction de ma « galerie Bonnard » (galerie de taupe), il y a dans sa façon de tourner autour du pot un je ne sais quoi qui ne vous lâche pas…
A mardi, MN
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re : hélas…
Date: samedi 20 mai 06 14:30
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Moi aussi, j’ai aimé entrer dans Paris. Et j’ai une passion pour cette ville (mais ne cesse d’y chercher des jardins).
L’exil, c’est la perte du jardin (Eden), de la terre où creuser, où planter, où me mettre au soleil.
C’est la perte de la porte-fenêtre sur le seuil de laquelle je m’asseyais avec le sentiment béat d’être à la fois à l’intérieur et à l’extérieur (à l’intérieur, à l’extérieur de quoi ? de la vie ?)
De toute façon, je suis une exilée de naissance (aucune idée pourquoi je dis ça, juste un sentiment).
Enfance : OK pour la rue du Temple un quart d’heure avant ?
T’ai-je envoyé cet autre Van Gogh ?
Juste pour le plaisir, j’ai eu longtemps l’âme banlieusarde. Je l’ai encore un peu.
Bonnard : diluer sa femme (2006 05 16 )
Diluer sa femme dans l’atmosphère
La faire fondre dans l’eau du bain
La pulvériser d’immatière
La ranger dans le papier peint
La pousser en marge des nappes
la faire trôner dans l’angle mort
et flirter avec une grappe
une tasse ou un jaune d’or
La rendre presque végétale
La peindre comme un filigrane
Un souvenir qui se délave
Un motif floral qui s’endort
la figurer comme en un châle
une broderie qui s’effrange
un motif discret que l’on range
dans l’eau du bain ou sous la lampe
et regarder par la fenêtre
un paradis qui ne sut naître
Faire de son omniprésence
Une simple réminiscence
La vaporiser de noyade
Bonnard, tu fus un cachottier,
On t’accusa d’indécision
prince aux grands yeux de résorption
qui dans leur myopie assassine
énucléa de tout regard
les chairs de tes charmants modèles
ce que tu fis dans le secret
de leur épiderme nacré
cela ne les regarda pas
purs reflets saisis de profil
vues de dos, nuques très dociles,
tes femmes restent sans pupilles
Elles n’aimèrent pas ta peinture.
SUR INTERNET JE SUIS ALLÉE (2006 05 22)
(dans le métro vers Montreuil, anniv. Rémy-Olga)
Sur Internet je suis allée
À la pêche au Bonnard et au Klee
Bonnard partout s’éparpillait
Dans les trous, Klee se dissimulait
Téléchargeant mon aventure
De bon art j’emplis mon panier
D’un tour de clé dans la serrure
j’ouvris le pré de la peinture
Ouvrant des yeux de marguerite
Je contemplai mille évidences
Mille survies écarquillées
Je cueillis un bouquet immense
Peintres défunts, en haut, en bas,
Là où vous êtes ou n’êtes pas,
L’avez-vous sentie ma curieuse
Investigation de furieuse
Collectionneuse de clartés ?
Et de mon psychisme immature
avez-vous ressenti l’effluve ?
De vos narines chatouillées
avez-vous respiré le frais ?
La fraîche odeur d’herbe coupée
De cette idée alambiquée
Qu’on appelle immortalité ?
BONJOUR JEAN DEMELIER (2006 06 22)
(dédié à Bérénice)
Bonjour Jean Demélier
C’est la voix d’Eurydice
Je n’ose pas vous téléphoner
Mon amie Bérénice
Vous aura rencontré
Parlé un peu de moi
C’était un vernissage
Après trente ans d’absence
Elle en était ravie
Qu’on lui téléphonât
Et c’est au téléphone
Qu’un soir elle me parla
D’une voix volubile
De vous et puis de moi
Mon amie Bérénice
Veut me rendre service
Veut me tendre des perches
Craint que je ne croupisse
Elle a raison, ma foi
« Il se souvient de toi
« Je lui bien ai donné
« ton numéro, mais il
« attend ton coup de fil
« Décroche ton ustensile,
« faut-il que je te houspille !
« décide-toi, dormeuse,
« la balle du réveil
« et son essaim d’abeilles
« est dans ton camp, ma vieille ! »
Ainsi je me présente
Après trente ans d’absente
Et parfois morne pente
Et parfois très joyeuse
Vie assez mal remplie
Je suis Dominique Proy
Celle qui n’existe pas
Mon vrai nom est Mathis,
Marie-Noëlle, je crois
Ces mots étant écrits
Je vais le décrocher
Mon téléphone exquis
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet: Re: Réponse de bergère à bergère
Date : vendredi 23 juin 06 18:19
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Merci ! super ! l’adore! trop bien! (comme dirait la jeune génération) j’en suis béate !! Il faudra continuer, c’est trop réjouissant…
Mais il faut que je parte dans un quart d’heure à Malakoff pour écouter du jazz invitée par Alice B (écrivain et néanmoins fille de Martine d’O)… Je me contente de t’envoyer ce petit œuf frais du jour (qui montre bien qu’en effet l’humus, l’humus, toujours recommencé. NB il s’agit de l’arbre qui pousse dans le minuscule jardin de ma voisine du dessous…)
mille baisers, MN
LE PLATANE ME PARLE (2006 06 23 )
Bonjour, Anne. Il me parle, tu sais, ton platane.
Avec son tronc robuste, ses rameaux drus, les nervures
De ses feuilles écartées comme cinq doigts vers l’azur,
Je crois qu’il aime ma stupeur contemplative,
qu’il me parle de l’autre rive.
Quand je me poste à ma fenêtre, et rêve debout, un peu massive,
Plantée bien droit sur mes deux pieds,
Je ne le vois pas vraiment. Je regarde dans le vague. Mal réveillée,
Je hume, aspire, absorbe de mes yeux buvards
Son ascension paisible. Mais lui devient bavard.
Tiens ! Attrape ! Et j’attrape ce qu’il me lance.
J’attrape le murmure. Le petit bruit de branches.
J’attrape au vol ses confidences,
Ses instructions, divulgations, aveux
De vieux satrape, j’attrape – comme je peux –
Tout ce qu’il me balance.
Étrange ! depuis soixante-dix ans planté
Sur le même pied, cet être s’impatiente !
Ne voilà-t-il pas qu’il m’ordonne
D’être rapide comme le vent ! Me somme
De saisir à toute vitesse
Les mots qu’il tient en laisse !
Me voilà donc, de peur que « ça » ne disparaisse
Avalé par l’instant suivant
à fouetter ma paresse, à dévaliser le présent,
à transcrire fébrile, en traces illisibles, sans réfléchir, affolée, volubile,
Les mots qui naissant de ses branches
Me passent par la tête.
Était-ce donc urgent ? Arbre si lent
Que te voici soudain speedé ! Comme un humain !
Un ingénieur ! un ouvrier !
Tu n’aimes pas te répéter ?
Je saisis une feuille de papier
Un crayon (où est-il passé ?), m’y mets.
Je transcris comme en rêve
Assise à ma fenêtre
Une salve d’oraisons brèves
Et quelques haïkus
Assez cucu.
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Date : samedi 24 juin 15:13
Objet : Re: Réponse de bergère à bergère
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Concrètement: le Demélier, je le vois ce matin à 10 h 30 chez lui.
T’en dirai plus après.
Avant-hier, chez Boris, à m’occuper des enfants. Bastien, en jouant au ballon dans le jardinet, shoote direct par la porte-fenêtre ouverte sur le vase d’œillets qui trône sur la table de salle à manger. Bien joué, petit gars! En plein dans le mille ! Cassé !
Moi, du Victor Hugo plein la tête, vais chercher sur Internet le Pot cassé, l’imprime, le leur lis… Décidément, je lis très mal la poésie ! Mais on rit. Ils sont subjugués. Quelle grand-mère, quand même !!
Et le soir, il ne s’est pas fait engueuler, car, comme Jeanne, j’ai regardé Boris avec un air d’ange et j’ai dit: C’est moi !
(Bastien est un enfant remuant, il se fait tout le temps engueuler. Mercredi : par sa mère, qui le met en pénitence dans sa chambre parce qu’il est allé chez le voisin sans crier gare. Jeudi : par la surveillante de la garderie, parce qu’il a franchi la barrière sans m’attendre ; par la nourrice de Juliette, parce que quand nous sommes arrivés, elle nous a dit à travers la porte d’attendre, et que Bastien a trituré comme un forcené la poignée de la porte… Quand elle a fini par ouvrir, un bébé demi-nu dans les bras, j’ai été atterrée de son flot d’invectives – une déferlante haineuse – j’en ai reçu moi aussi plein la gueule. Bref, je n’avais pas envie que Bastien se fasse « encore » engueuler le soir.)
Bon, tout ça pour te dire que les humains et leurs petites scènes de familles m’intéressent quand même pas mal.
Où en es-tu de ton apprentissage par cœur de la tirade de Phèdre ?
Tendresses
PS : Platanes, châtaigniers, palmiers, chênes festonnés… pourquoi prétends-tu que les arbres ne te parlent pas ? Ils semblent te raconter plein de choses !
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet : Re: Réponse de bergère à bergère
Date : dimanche 25 juin 2006 15:25
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Ouvrez chère Madame le document joint :
LE DEMELIER EN VRAC (2006 06 15)
(raconté à celle qui me dit : Je veux des histoires)
J’arrive Je sonne Rien Je frappe Ouf ça vient. Il ouvre. « Je vous reconnais de profil, mais pas de face ». Je ris. Moi, je le reconnais, sauf sa maigreur. Émacie. À droite, à gauche ? Comme vous voulez. Mais non, c’est vous. Alors, dans le bureau.
Objets partout, tableaux partout, mansardé, dernier étage très clair, vélux doublés de chiffons ou plastiques, petits tapis jetés par terre comme des cartes à jouer. Où je mets ça ? Où vous voulez. M’assieds sur le grand lit, lui perché comme un échassier sur un tabouret haut. Qu’êtes-vous devenue depuis hier ? Je me méprends. Lui raconte ma soirée de jazz. Mais non ! je voulais dire depuis trente-cinq ans. Couplet vaseux. Quelle question ! Je vous appelle Marie-Christine, ou Dominique ? Marie-Christine, non, ce n’est pas ça, appelez-moi Dominique. Ça ressuscitera quelque chose.
Maintenant c’est lui qui démarre. Il parle il parle. Tu n’as donc parlé à personne depuis trente-cinq ans ? Belle tirade, un peu mystérieuse, sur la Terre qui paraît-il tourne et nous emporte dans un flux qui nous prend à revers, par exemple voyez-vous depuis trois mois je suis en train de revoir quatre ou cinq personnes perdues de vue depuis trente-cinq ans, vous êtes la cinquième, étrange cette conjonction des astres.
Ce que vous dites c’est encourageant, moi aussi j’aimerais bien revoir des gens que j’ai perdus de vue. Et depuis trente-cinq ans vous êtes devenu quoi ?
Histoires d’appartements, la rue de Sévigné, puis Blois, vie tranquille, trois livres, retour à Paris, le quatorzième, ma propriétaire n’aimait que l’argent, infernal, ensuite Avignon, un ami qui, je payais 500 francs par mois, vous vous rendez compte ! mais Avignon je m’étiolais, j’ai fait des demandes à la mairie de Paris, évidemment rien, un jour on me dit : « Quatre-vingt cinq mètres carrés à Barbès ça vous va ? » Ici, je suis comme tout le monde, un émigré, au fond ça me convient. Vous ne le croirez pas, il y a des amis qui ont été jaloux de mes quatre-vingt-cinq mètres carrés, et puis l’édition aujourd’hui ! l’argent l’argent l’argent, ce n’est plus le comité de lecture qui décide, c’est le département commercial… si ça n’est pas vendable on ne vous publie pas… j’ai eu un procès avec L’Harmattan, j’ai gagné… mais ça se sait dans l’édition, plus personne ne veut m’éditer… la mafia. Heureusement il y a des gens magnifiques, vous voulez un bee-dee ?
Ah oui, je me rappelle, vous fumiez des bee-dees !
Pas facile de fumer des bee-dees, ça s’éteint tout le temps. Trois fois il me la rallume, allumette sous le nez. Je louche, on dirait une petite fille qui n’a jamais fumé de sa vie, il va se brûler les doigts. Coup de fil. C’est Michel Deguy. Lui aussi, je l’ai frôlé, aux déjeuners du Chemin. Mais un peu trop impressionnant pour moi… N’ai pas osé, au collège de philosophie où j’ai été l’écouter cet hiver, aller lui serrer la main , lui dire : « Vous vous souvenez de moi ? Les déjeuners du Chemin… » Cependant, Demélier me dit qu’il fait partie des gens magnifiques.
Heureuse diversion, je commençais à m’enfoncer dans les imprécations de mon vis-à-vis, à me diluer, lui laisser toute la place, n’en placer pas une. Ne fais pas ça ma vieille, c’est méchant pour lui, ne le laisse pas déraper comme ça, borde-le, au lieu de le regarder fascinée se répandre. Bérénice t’avait dit qu’il était un peu amer, n’en profite pas pour le guigner comme un insecte qui s’empêtre dans une toile d’araignée.
« J’ai retenu dans un petit restaurant à la goutte d’Or, vous aimez le couscous ? »
Ça c’est une bonne idée. Ça borde ce rendez-vous un peu informe. « On va dans l’atelier ? »
Pas petit, son atelier, pas immense non plus. Au centre, une table de jardin, un parasol ouvert planté dedans. Me montre ses tableaux, les commente. Dieu soit loué ! je les aime presque tous. Pile de dessins, petits formats, carrés, des encres. « Excusez-moi, je vais téléphoner. » Ces petits carrés m’intéressent. Et puis, ses carnets de croquis dans les squares. Je lui avais dit que je faisais ça, moi aussi. « Tous les jours ? Pas vraiment tous les jours. Souvent. – Il faut le faire tous les jours. Je vais le matin au parc Monceau. – Moi le soir au parc Montsouris. »
C’est au restaurant que ça s’est vraiment détendu. Est-ce quand il m’a dit qu’il était issu d’une famille calviniste ? Tout à coup j’ai cru voir dans son visage sévère une cohérence, une simplicité. Ou est-ce parce que ce visage s’arrondissait, se plissotait de petits sourires glissants, se féminisait ? Ce n’était plus un masque. Je me suis dit : « il y a de la métamorphose dans l’air. ». Ou bien, c’était le mot « donner ». Son envie de donner. « En Hollande, les artistes sont entretenus par l’État. On leur donne de quoi vivre. Mais en contrepartie, une fois par an, une commission vient chez eux et choisit quelques œuvres, pour les mettre dans les musées, les bâtiments officiels… Moi, j’ai écrit à la mairie, au ministère de la Culture, pour leur faire une donation, gratuite, d’une vingtaine de dessins… Mais ça ne les intéresse pas… Ils m’ont répondu poliment que ça ne les dérangeait pas, mais que mes dessins resteraient probablement dans un carton… Ils ne sont pas grands, mes dessins… pas encombrants… Et ils en ont, des murs ! C’est à pleurer. »
Moi aussi, je trouvais que c’était à pleurer. J’ai pensé à tous mes dessins, en attente, chez moi, dans un carton. En attente de quoi ?
« Avec tous ces bureaux qu’ils ont… On devrait faire une loi, tous les bureaux de toutes les administrations devraient avoir des œuvres d’artistes au mur… On paierait une amende quand on ne le ferait pas…
Ce qu’ils font en Hollande, c’est une bonne idée… Je pourrais en parler à un ami, un énarque, qui travaille au ministère de la Culture…
Faites-le !
– Vous savez, je ne sais pas s’il a vraiment le pouvoir de faire passer ça ! Mais je peux lui glisser l’idée. »
Soudain, je me reprends. Fais gaffe, ma vieille. Dans ta petite tête, tu commences à vouloir trouver des solutions pour lui. Quand il t’a dit qu’il passait tous les étés à Paris, dans la fournaise de son septième étage oh sa tristesse quand il t’a dit : Ça fait trente ans que je n’ai pas été à la mer , tu te rappelles la tentation qui t’a prise ? Tu lui as demandé mine de rien : « Vous savez faire du vélo ? » Mais ensuite, tu t’es mordu la langue, et tu es restée sage Tu t’en es tenue là. Jean Demélier à l’île d’Yeu ! Chez toi ! Un type dont tu ne sais presque rien !
Mais il doit y avoir ça, dans sa manière. Un appel à l’ami généreux, à la mère toute-puissante, à la mairie de Paris.
Ce qui me touche vraiment, c’est son envie de donner des trésors, à une société qui ne veut que de l’argent. Nos dons, nos vrais trésors, qui donc en veut ?
Nous avons mangé des moules-frites. Deux ou trois fois, je me suis surprise à l’appeler « Jean », le plus naturellement du monde (sans penser qu’on était le jour de la Saint-Jean).
Au moment de nous quitter, au métro, quand, après une seconde d’hésitation, nous avons avancé nos visages l’un vers l’autre pour nous embrasser rituellement, j’ai cru remarquer que derrière ses lunettes il avait les yeux humides.
Et moi aussi, peut-être.
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet : Re: Réponse de bergère à bergère
Date : dimanche 25 juin 2006 18:55
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Toi aussi, c’est un très beau cadeau. (Et ça ne serait pas toi, des fois, la vraie de vraie un peu perdue de vue depuis 35 ans, que la conjonction des astres ou des vaguelettes ramène plus près de moi sur le sable luisant d’une très belle plage ou page ?)…
Une fois de plus, je suis à la bourre. Filer à Montreuil…. Ah, marre, mes enfants me persécutent, AG à 18 heures sur les règles à donner à Shérane et ses copines qui viennent camper chez moi, et on me prévient hier soir !!
Et si je n’avais pas été libre, camarades ??
Mais ils ont un bol de pendu : je n’ai ni session de jazz ni goûter libanais ni rendez-vous avec Jean Démélier… Juste envie de répondre un peu longuement à Bérénice !
Pour répondre brièvement (la suite viendra demain), à ta question « s’est-il intéressé à toi » : je l’ai appelé Jean, mais je ne l’ai pas entendu m’appeler Dominique.
Je dois être un peu dure d’oreille.
Baisers !
PS Lu sur Internet : « S’il n’y avait personne d’autre, tout le monde serait heureux! » (me rappelle plus de qui c’est)
De: « Marie-Noëlle » À: « Bérénice »
Objet : Re: Bonne journée !
Date : lundi 26 juin 2006 12:16
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Qi Gong ? A Toulouse, avec Jeanne ex-F, j’en ai fait une séance, je me suis trouvée aussi potiche qu’un gros pingouin dans la séance, mais après, je me sentais particulièrement bien, et même légère ! Moi, légère !!?? Je n’en revenais pas.
Donc, si j’osais, oui j’ose, où en fais-tu en septembre ? combien ça coûte? Et si je venais ?? (et, courage, j’achève ma question : est-ce que ça t’emmerderait ??)
Sinon :
Tout ce que tu dis de tes rencontres avec le cher autrui, je vous écoute, je ne fais que passer, et le paon fait la roue, s’étale etc., c’est au mot près ce que je ressens souvent. À cette différence près qu’avant d’en arriver à l’exigence de réciprocité, je passe parfois par le stade « jeu de go » et désir d’emprise : puisque je suis le réceptacle et lui l’émetteur, et que sans moi en ce moment il n’émettait rien (aucune de ces belles paroles où il se grise de sa splendeur), je vais lui devenir indispensable. Indispensable à son narcissisme. Je vais prendre le pouvoir.
Mais ce détour est bref. Je résiste à la tentation, à la stratégie de l’araignée, je sais bien que prendre le pouvoir, manipuler, n’est pas ce qui m’intéresse. Des manipulateurs, des gens d’emprise, j’en ai connu (Cléa) : il y a une tristesse infinie dans leurs manigances. S’ils veulent piéger autrui, le capter, c’est parce qu’ils sont intimement persuadés qu’on ne peut pas les aimer pour eux-mêmes (ils n’en ont peut-être pas eu l’expérience).
Je peux avoir aussi dans ce silence où je suis clouée et me cloue parfois à plaisir devant le discours débordant d’autrui ce que j’appellerais « la tentation du thérapeute » (Cléa, toujours). Je me tais comme un psy en espérant au bon moment dire le petit mot juste qui va dévier l’inondation vers un ruisseau de paroles échangées. Vaste illusion, faux-self, place fausse et fourbe (et, finalement, relation fourbue).
D’ailleurs les autres, les gens, n’aiment pas qu’on se taise trop longtemps devant leurs numéros et pavanes. Je me souviens de Gilberte L irritée me lançant : « Tu dis toujours Oui-oui, oui-oui ! »… Elle avait bien compris que c’était ma façon à moi de ne rien lui dire (mais aussi ma façon à moi de ne pas être sûre de moi, de ne pas oser entrer dans la danse).
– Tu me dis : je te vois plus superbe et sûre de toi. Ça me poursuit ce matin, je rumine ça dans le RER. Cette femme superbe et sûre d’elle, elle doit bien exister quelque part, mais je n’en ai pas la jouissance. Cependant tu l’as vue. Tu vois de moi ce dont je n’ai pas la jouissance, et tu m’es précieuse ô combien pour cela. C’est mon potentiel, mon inaccompli, que tu sais voir. Je l’appelle parfois « mon Eurydice », mais elle est moins perdue qu’inaccomplie. Peut-être encore à venir ? Ce serait celle qui accepterait (enfin) les cadeaux qu’on lui fait ?
Le thème de l’inaccompli me parle. Je suis intéressée par ceux, celles plus souvent, dont la stature dépasse la vie. Exemple Micheline, une amie de Cholet. Vie médiocrement passionnante de femme de commerçant, soucis d’argent, chicanes, mari pénible et rigide, immenses malheurs (elle a perdu deux fils), et une splendeur, une noblesse de déesse qu’elle trimballe avec elle dans les rues de la sale petite ville comme une écharpe de lumière. Très belle. Invieillissable, malgré ses soixante-dix ans. Comme si elle était en rapport avec quelque chose d’invisible, et de grand : mais je peux te dire que cette chose invisible, elle-même ne la voit pas clairement. N’en a pas l’usufruit. Juste nue-proprétaire d’un domaine dont elle n’a pas les clés)
(Bien sûr, il y a des clés biographiques. Son père était allemand, ouvrier à Cholet. A quitté la France en 39. Elle ne l’a jamais revu. Et elle a un physique allemand : colossale blonde au milieu de petits Vendéens noirauds. À Cholet, ça se remarquait : une « étrangère ». Étrangère à tout ce fourbi.)
– Chapitre « Ariane et toi » : pas très bien compris quel texte elle a rendu, finalement. Est-ce celui que tu appelles « la seconde mouture de ton texte » ?
Elle n’a pas signé ? Qu’est-ce qui la dépassait ? travailler à deux ?
En tout cas ce dialogue m’a touchée, avec ses moments de vérité et son désespoir partagé. Et je relève tes mots à toi, « tu n’écris pas à toi-même, mais aux autres… tenir compte des curiosités des autres… un minimum d’assise… un peu plus de fermeté à tes mots… un côté moins jeté, ou inspiré (comme un crayonnage impulsif), et plus construit ( comme un grand tableau )… qqch d’un peu plus nerveux ». Lettre à un jeune poète ? Tu serais un bon éditeur !
Tendresses, MN
De: »Marie-Noëlle » À: »Bérénice »
Objet: Re: Suite…
Date: mardi 27 juin 2006 15:28
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Mon père et mon frère, des statues de l’île de Pâque… ça aussi, c’est un vrai cadeau ! Je ne suis pas près de l’oublier.
Quant à ma mère, eh bien si. Je l’aimais. Mais entre elle et moi, les chemins étaient semés d’empêchements. Tortueux. Retors. Bancals. Boiteux. Déhanchés. Sauvages. Et vraiment pas directs !! Quiproquesques…
(Pour le dire en bref, une reconstruction a posteriori m’a fait toucher du doigt à quel point ma mère a été disqualifiée et volée de sa maternité par sa propre mère, mon excellente grand-mère… que j’adorais. Mais la trop bonne aïeule qui transforme sa fille en néant décoratif, ça s’appelle une sorcière. J’ai compris ça en lisant le journal de ma grand-mère pendant l’Occupation. Tout ce journal montrait que cette femme était folle à lier, déséquilibrée, intrusive, voleuse de la vie des autres, fouteuse de merde dans les ménages. Etc. Maman ne s’en rendait même pas compte. « Ta mère, maman, elle n’était pas un peu du genre à se mêler tout le temps de ce qui ne la regardait pas ? – Mais non, quelle idée ! Dévouée, toujours à rendre service… » Une sainte femme, quoi.
Cette lecture a complètement modifié mon regard sur ma mère, tout s’est adouci entre nous. (j’ai écrit pas mal de textes au sujet de ma mère, pour essayer de comprendre ce qui en elle était en souffrance, et qu’elle m’a transmis. Un livre m’a également énormément éclairée sur les aspects pervers de l’éducation donnée aux filles cultivées et intelligentes dans les années 20, Des jeunes filles exemplaires: Dolto, Zaza, Beauvoir, d’I. Grellet et Caroline Kruse. Je t’en ai peut-être déjà parlé.).
Le cher autrui : « Je m’intéresse vraiment, je relance, j’entretiens, je vais chercher… » Je t’envie ce courage, cette obstination tranquille. Moi aussi j’aimerais bien, et suis curieuse des autres. Mais je me décourage vite, je baisse les bras. Comme si en fait j’attendais un peu trop des autres – la déception s’abat. La fatigue.
Mais je suis extrêmement fidèle. C’est plutôt avec les nouveaux-venus que j’ai du mal.
(Pas trop envie de me définir par antithèse avec toi ! ce serait river chacune dans un rôle de Laurel et Hardy. Je crois que nous avons plein de choses en phase, mais dans un style différent.)
Le Qi Jong : j’ai noté le 11 septembre. Donne moi les coordonnées le moment voulu. Je voudrais essayer. Ta description avec chat et marmite de riz est attirante.
Je t’embrasse tendrement, MNPS… Départ après-demain, je n’y crois pas. Serai joignable par Internet au cybercafé. Pas vraiment le cadre pour en écrire des tartines, mais les petits billets et les haïkus passent… Je ne voudrais pas t’encombrer, t’envahir etc., et toi pas besoin de réagir au quart de tour, de me répondre en cherchant tes mots etc. Bref je t’envoie encore un texte, cette fois sur le vernissage d’O. dans le Marais hier…
PJ : L’OLIVIER W EN VRAC (2006 06 26 )
C’est dans le Marais, rue du Perche. L’exposition s’appelle « Goutte. Fragment d’Océan 1 ».
Un texte accompagne le carton. J’y lis qu’Olivier va peindre en direct sous nos yeux tandis qu’un comédien lira de ses textes sur la peinture, que les tableaux au mur seront emmitouflés de draps blancs et que ce ne sera qu’après la performance qu’ils seront dévoilés. Tout cela m’assomme. Cérémonial à suer. Mais je n’ai pas vu Olivier de l’année, mis les pieds dans son atelier. Envie de parler avec lui, reprendre contact. Revoir des gens que j’ai connus chez lui. Donc j’arrive.
Dans la galerie, un barrage de gens assis et debout. Au fond, la tête d’Olivier qui se démène, feu aux joues, mèche en bataille, chemisette blanche. Agile, bondissant. Il va, il vient, il peint. Par terre. C’est son truc, peindre par terre en public. Comme ça il est sûr que seuls les gens du premier rang y verront quelque chose. Je me hausse sur la pointe des pieds. Désespérant. On n’y voit rien (comme dans Daniel Arasse). M’empare d’une chaise et glisse à ma voisine : « Quitte à ne rien voir, autant être assis ! » J’écoute. Le comédien est beau. Lit bien. Je me tortille. N’importe quoi, mais faire quelque chose. Oh, la passivité ! En ce moment, la limite de ma tolérance à la passivité est faible. Aucune patience. Vite, mon petit carnet. Prendre des notes.
Le salaud, il y a des choses pas mal, dans ce qu’il écrit ! C’est même de mieux en mieux ! Ou bien c’est du vent ? J’hésite. « Le peintre devrait prendre exemple sur son pinceau… épanouissement sans raison ni justification… l’être est sans causes ni conséquences… on ne peut pas peindre quand les yeux regardent, on peint lorsque les yeux voient… l’immensité bouleversante… le peintre s’il comprend qu’il n’est pas peintre, qu’il n’y a pas d’œuvre, ça devient facile. Il n’y a plus qu’à peindre… » J’hésite j’hésite. Est-ce banal à pleurer, ou substantifique moelle ? Bon, on verra plus tard… Par moments, quand même, c’est tellement démarqué d’un corpus bouddhiste tibétain que c’en est accablant… cela vous a des airs de mots en qui volent liberté, et c’est vomi par une implacable doctrine…
Bon, finalement, il me dérange, cet Olivier. Je vais lui faire un sort. Et puis d’abord cette façon de s’agiter à l’aise en buvant du petit lait alors qu’en fait tout son dispositif met votre corps à la torture… ! Il ne peut pas l’ignorer, ça, quand même, que l’organisation de sa petite performance mutine et primesautière est ficelée de telle sorte que votre corps sera en pénitence ! Il le sait bien, qu’on n’y voit rien, qu’on est debout, qu’on ne peut parler à personne, qu’on a chaud, pas d’air, qu’on étouffe, qu’il n’y a rien à boire rien à manger, qu’on ne peut pas bouger, qu’on est contraint à un silence religieux… On est à l’office des morts, ou quoi ?
Je regarde la tête des gens. Sont-ils béats, heureux, épanouis, grinçants, suants, consternés, ébaubis ? Mon voisin soupire et grimace. Je lui adresse une mimique fataliste. J’entends de petits rires. Ce sont les gens du premier rang, les bienheureux, ceux qui peuvent voir de visu le numéro d’artiste.
Profitons-en, de tous ces gens qui ne bougent pas. Sur le petit carnet, je me mets à croquer la haie de têtes et de dos qui devant moi fait barrage. Cela me calme. Me réveille. Je me sens mieux, retrouve accès à une activité, un acte bien à moi. Fini le gavage. Je ne vois rien, d’accord, mais je vois au moins le barrage. Je vois ce qui m’empêche de voir. Des dos, des épaules rondes, des cols de chemise, des emmanchures, des nuques, des petites bretelles, quelques fesses, un chignon compliqué ; un sac à dos, une plante verte, une tunique à fleurs.
Je le dessine, le barrage ! je le ratatine ! Tu t’arranges pour que je ne voie rien de ce pour quoi tu m’as conviée ? Eh bien tant pis pour toi. Je verrai ce qu’il y a à voir.
Tout, sauf ce que tu fais.
Maintenant j’entends la voix de l’acteur : « Faire un acte est une façon d’admettre sa petitesse… » Il lit très bien, il est très beau, l’acteur.
Je remarque aussi que dans le texte revient souvent le mot « courage ».
La goutte d’eau, par exemple, aurait du courage d’« être là ».
C’est marrant, cette expo sur le thème de la goutte, avec tous ces gens en train de suer.
Mon dessin est un peu raté. Je remets le carnet dans mon sac BHV, fais bruyamment crisser le plastique dudit sac, rien que pour le plaisir.
Pourquoi il ne s’arrête pas, là-bas, l’exhibitionniste ? Ça ne finira donc jamais ?
Tiens, c’est Anna, la femme d’Olivier. Comme elle grossi ! Changé ! Ah bon, elle est enceinte ?… Impressionnant. C’est quelqu’un d’autre. Ce masque. Ces rondeurs voluptueuses.
… Donc, ils sont toujours ensemble. Parfois, je me demandais…
Bon, eh bien finalement il s’en passe, des choses, dans la vie d’Olivier.
Oui, c’est ça qui m’irrite. Tout a l’air de lui réussir.
Finalement, moi aussi j’en ai du courage. Comme la goutte d’eau.
Le courage de ne plus être là.
Pourquoi souffrir sans cause ? Pourquoi subir ?
Je me lève. Plaisir de me dégourdir les jambes, de faire quelque pas dehors et dans l’entrée de la galerie. Ces tableaux fantômes sous leurs draps blancs, quand même ! Quel chiqué !
… Tiens, des petits haïkus punaisés au mur à côté des draps blancs ! Voyons ?
« Le temps d’un matin frais
pétille
Transparence du plaisir ».
Pas mal du tout, non ?
Décidément, sur Olivier, je ne sais pas trop quoi penser. Et ce n’est pas encore aujourd’hui que je me débarrasserai de lui.
Je suis peut-être bien naïve. C’est peut-être tout simplement un manipulateur, même si c’est un manipulateur qui s’ignore. Un manipulateur sincère.
Ah, la sincérité !
En tout cas, là, ce que j’ai senti, c’est qu’il ne fallait surtout pas patienter.
Salut ! Je pars.
Vive la liberté !
Le Marais est superbe, avec ses flots de promeneurs. Ses rues pleines de surprises.
Je reviendrai.
PS pour Bérénice. Suite du Demélier.
Ce soir, je l’ai appelé au téléphone pour le remercier de l’agréable matinée et du bon déjeuner, et il m’a répondu de sa lente voix de basse : « Votre visite a été une joie. Une grande joie. » Quelle belle langue, me suis-je dit. Voilà des mots que l’on n’emploie plus guère. Moi, je lui simplement ai dit : J’ai eu beaucoup de plaisir à… j’ai été très contente. Mais une grande joie ! » … Ensuite, j’ai entendu : « Chère Dominique… Je peux vous appelez comme ça ? » J’ai dit « oui oui ! » comme un enfant qui bat des mains. Il a ajouté : Revenez quand vous voulez. N’importe quand. »
Donc, finalement , il m’a quand même appelée par mon nom !
De »Marie-Noëlle » à »Bérénice »
Objet : esprit de l’escalier
Date : mercredi 28 juin 2006 à 17:38
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Pardonne mon esprit de l’escalier (encore une bouffée du platane, ce matin, en prenant mon café). La description que tu fais de ton intérêt pour les autres : « je m’intéresse vraiment, je relance, je vais chercher… » me donne envie de préciser ma façon de faire par rapport à la tienne.
Chez moi, ce qui cloche, c’est que j’ai trop envie de m’émerveiller. Au début, je m’émerveille de cet autre si surprenant, tellement inattendu. J’en fais une icône, une merveille de la nature. Après, ça se complique. La merveille exhibe ses limites, me renvoie quelques brutalités subtiles, mesquineries ordinaires et très humaines imperfections…
Avec un érable, un géranium, une mésange, je n’ai pas ce risque. Je projette sur lui en trombe et en toute sécurité mes avidités immatures. Donc, je ne crois pas que j’aie avec platane ou autre un vrai contact ontologique. Ces êtres sont pour moi un support de concrétisation, de projection, une figure de mon théâtre psychique.
S’émerveiller, ou s’intéresser ??
That is the question !!
Tu dois avoir mieux que moi le sens de la limite, de la complexité, du relatif…
(Encore pardon de t’encombrer de mes ruminations… c’est tellement plus stimulant de te les adresser que les adresser à mon benêt d’écran… mais j’ai un peu le sentiment d’abuser)
Baisers ! mn