SEPTEMBRE 2011. JE CHERCHE QUELQU’UN QUI FASSE L’AFFAIRE

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Je cherche toujours quelqu’un.
Compulse sur Internet bribes d’info voire d’indiscrétions sur le psychanalyste dont m’a parlé Toto en décembre 2009 quand je lui ai dit non sans raison « qu’il ne faisait pas l’affaire ». Non, mon vieux, vous ne faites pas l’affaire. Ou plus exactement, si vous la faites, c’est parce que très précisément vous ne la faites pas – rappelez-vous cette histoire de « la personne qui n’était pas mon genre » – vous aviez bien remarqué que j’étais tordue, n’est-ce pas ??? Et sans doute tordue de douleur(s) ?
Si je mets un s à douleur ça évoque plutôt mon squelette, si je retire le s, il s’agit de mon cœur.
Faire affaire ! Rappelez-vous. L’expression vous a interloqué. J’entends encore votre hoquet.

Je ne dis pas qu’il y a erreur sur la personne. Je vous trouve tellement mignon ! Et jeune ! Et malléable, un garçon pâte molle, que je peux modeler, malmener verbalement – 60 euros, quand même !
Zut de zut, envie furieuse en écrivant ces mots de fumer.
« Oui oui, j’arrive, Dr Montbrun-Bocage, mon texte entre les mains : je vais vous le débiter comme un phylactère de BD. Tant pis si vous me croyez folle, je le suis quelque peu, j’héroïse mes douleurs – et vous, au fait ? c’est quoi, votre folie ? – ô mon Dieu, lui aussi, vais-je le déborder ??
(Ah ah ! Bien trop peur que ce ne soit l’inverse, avec un « vrai psychanalyste ». Qui saura mieux que moi ce que je dis.)

Donc, pas erreur sur la personne. Mais angle mort et bogue sur la nature du logiciel de travail. Quiproquo, bévue, boulette et pataquès sur la grille d’écoute que vous me prodiguez.

Je n’arrête pas de vous dire que la psychanalyse, c’est bien intéressant. Quand est-ce que vous vous y mettez ? – bientôt je vais vous conseiller de lire, vous que je ne sais comment appeler, comment apostropher – raison pour laquelle sans doute j’hésite à vous téléphoner pour déplacer notre rendez-vous du 15, que je ne pourrai honorer de ma présence, ne disposant pas encore du don d’ubiquité – je serai à Toulouse, en train de me requinquer de mes grandes solitudes estivales – du moins je le souhaite… ah zut, j’ai oublié de terminer ma phrase : je vous conseille vivement (on conseille vivement, jamais mortellement) de lire Mensonges sur le divan, de Irvin D. Yalom, 12 euros dans cette nouvelle présentation qui ressemble à un claquoir de messe de chapelle basse – bien sûr, tout le monde a oublié ce que peut-être un claquoir, et néanmoins à un tournant cela vous revient en pleine face.

Tout ce qui vous revient en pleine face !

Hier soir, sur Internet, nostalgie, émotion poignantes des vieux albums du Père Castor et de leurs illustrations perdues crypto-russes des années 30-40, Nathalie Parain, Rojankovsky – je commande à la fois sur e-Bay et chez un libraire (deux fois, mauvaise manœuvre) Tricoti Triota première version. Joie de voir à nouveau cette couverture, la femme effondrée dans l’embrasure d’une porte barrée d’une énorme toile d’araignée et, hilares, juchés sur les épaules les uns des autres, ses dix garnements de fils escaladant la porte de bois sur la droite. Alors que l’illustratrice Gerda, dans l’édition suivante, édulcore le propos : plus d’araignée géante, plus de maritorne campagnarde au chignon douteux et à la posture effondrée, mais, sage, juvénile, une princesse blonde et bleue qui tricote yeux baissés.

Vous vous rappelez ce mois de décembre. Je voulais un psychanalyste. Sans doute ne l’ai-je pas dit, tellement ça m’était évident. Et peut-être ne l’avez-vous pas repéré, tout à mes lamentations dépressives. Vous vous en léchiez les babines. Une déprimée, quelle joie ! Juste ce que je sais faire ! Xanax, Prozac, Deroxat…
Ou bien alors, si vous l’avez soupçonné, que ne vous êtes-vous pressé de lâcher votre fatidique et déstabilisant « je ne suis pas psychanalyste ». Quand vous l’avez fait, il était un peu tard. Le poisson était ferré.
Et il reste accroché à la ligne, rien qu’à voir la façon dont il noircit les pages en faisant semblant de discuter avec vous – pas semblant en ce qui le concerne, juste en ce qui vous concerne.

Lui est venue, au poisson, une idée, Monsieur « Je ne suis pas psychanalyste », qui compartimentez si bien les douleurs et les pathologies et lui avez conseillé d’aller voir ailleurs – au centre de tabacologie de votre propre hôpital, ailleurs mais pas tout à fait loin quand même, et non sans lui demander ensuite le nom du tabacologue-chef, c’était qui ? – bref, a surgi l’idée que le poisson pourrait sans aucune incompatibilité continuer à venir vous voir tout en allant consulter parallèlement le Dr Montbrun-Bocage (joli nom, n’est-ce pas ?), qui se trouve être psychanalyste.
J’aurais alors deux quelqu’uns dans ma vie. Deux hommes. Deux interlocuteurs. Jules et Jim. Jim qui aurait l’oreille freudienne et vous, Jules, qui ne m’avez jamais précisé quel genre d’oreille vous tendez vers mes beaux discours.

La seule chose que je sais, c’est que, lorsque – rareté – mon débit se tarit, que je serre les lèvres et bloque devant la question que vous me posez – laquelle était-ce, déjà ?? –, vous, vous en couchez des tonnes sur la feuille de papier pliée en deux format 21×29,7 ouverte en mon honneur sur votre bureau faux Directoire et sortie d’une enveloppe papier kraft à mon nom – à moins que ce ne soit d’une chemise commerciale à la teinte incertaine ??
Plus je me tais, plus vous écrivez.

Pâte molle, malléable, pied tendre…

Je n’aime pas votre façon de parler « d’une voix très douce » – comme la Marceline de Zazie. Très étudiée, mais gênante pour moi, qui suis dure de l’oreille droite – je vous l’ai dit une fois, ce ne sera pas deux.
Je claironne volontiers : « je suis myope comme une taupe », mais la honte me saisit d’avouer être dure de la feuille. Je me sens alors basculer hors du monde commun. Surdité, vieux croûton, ridicule, gorges chaudes.

Pensant à ma façon de vous utiliser – de vous rendre utile – , je recherche avec fureur dans le livre de Didier Anzieu – paix à votre âme, cher Didier – intitulé le Corps de l’œuvre ce passage qui m’a frappée naguère, où le lecteur idéal, « l’homme à qui l’on s’adresse », le stimulateur idéal d’écriture, se profile comme une sorte de pâte molle et malléable, pas vraiment admirable mais à l’égard duquel le graphomane exerce intérieurement une affable condescendance – on le malmène un peu, on n’a pas peur de lui, ni de lui faire du mal, on le croit en caoutchouc mousse, et comme c’est agréable de jouer avec cette poupée de chiffon doux, ce désossé qu’on adore, tout cartilagineux – doudou, nounours et gros bêta, mais non mon gros bêta si tu n’étais pas là, ça ne marcherait pas – j’ai relu cet ouvrage, mais pas retrouvé le passage en question. Pourtant je ne l’ai pas inventé.

Maintenant je craque. J’achète des cigarettes au café près de chez Ed. En fume cinq ou six, avant d’aller m’inscrire à Daviel à l’atelier modèle vivant.
On me fait mariner. Deux heures d’attente.
Le soir, en allant au théâtre Mouffetard qui présente la saison 2011-2012, je jette le paquet rouge à la poubelle avant l’arrêt de bus.
Dans la foulée, je téléphone à la responsable locale de Coursuivre indiquée par le responsable régional à qui j’ai envoyé un courriel. Très bon accueil. Invitation à déjeuner mercredi avenue des Gobelins. « Une fois par mois, table ouverte.
– Qu’est-ce que j’apporte ?
– Rien, je m’occupe de tout. Et chacun participe, laisse ce qu’il veut. »

Courriel à l’Eau Vive et Catherine P  :  je ne reprends pas mes cours de yoga.
Ouf, c’est fait !
Mon mail à Catherine commence par « Je suis en marmelade ».

*

Long coup de fil à Catherine P. Cette femme est agréable. Sa voix, sa conversation. Sa façon simple d’être de plain-pied.

Message de Dr Epsilon sur mon portable. Inaudible. Émis du fond d’un tunnel de métro ? Voix d’outre-tombe, impressionnante, caverneuse, sépulcrale et souterraine. Fait écho à mon rêve inaugural à son sujet, le tunnel de la Défense et Rémy (çad lui) qui passe dans une sorte de scooter à quatre roues ou triporteur teuf-teuf ou petit tracteur à bagages et m’emmène dans son esquif motorisé vers le kiosque à journaux au fond du souterrain. Puis disparaît du paysage.
Je rappelle.
Tombe sur le répondeur.
Me lave les dents.
Ça sonne.
Vous m’avez appelé ?
Oui, vous n’avez pas eu mon message ? On ne comprenait rien à ce que vous disiez, vous étiez dans le métro ?
Et là, vous m’entendez ?
Oui, très bien.
Ok, jeudi 16 h 30.

Je lave le sol de la salle de bains, savon noir dans un flacon noir.
Vide l’eau sale de la cuvette dans les toilettes.
Merde, WC bouchés.
Je traîne.

Reste à écrire aux quinze élèves de yoga bien-aimés que je lâche.
Et à faire la critique du Siècle des nuages, de Philippe Forest.
Et à envoyer les 10 cartes postales que je n’ai pas envoyées.
Et à écrire sérieusement à Joachim.
Et…. Et…. Et….

Et à repiquer mes carnets de l’été sur ordi.
À dessiner un lion tous les matins.
Faire un autoportrait tous les matins.
Écrire deux heures à heure fixe chaque matin.
Faire des abdos tous les jours.

*

Écrire à.
Écrira.
Souhaité bon anniversaire à JJ.

Le déjeuner d’hier : trois Marie-Thérèse quatre Françoise.
Comme cet immeuble est beau ! Comme cet appartement est grand !
Hélas ! Rien que des vieilles, à ce déjeuner inaugural à Coursuivre. Caricatures tordues à visages grimaçants, mâchoires ridées, mentons qui remontent vers le nez, bajoues qui dégringolent, dos semi-bossus, cannes.
Qu’est-ce que je fous là ?

Celle-ci a de l’alopécie, mais les deux yeux bien vifs.
Colette.
Excusez-moi, j’ai oublié votre prénom ?
Madeleine.
Et vous ?
Charlotte.
Cette Charlotte n’est pas mal. Ressemble à un Rembrandt.
Presque envie de faire son portrait.

Quatre-vingt-sept ans, vous dites ?
Les yeux clairs de celle qui ressemble à une fouine s’illuminent en face de moi et sa façon hardie de me regarder bien en face transfigure son visage – ou plus exactement ma perception.
Est-ce parce qu’elle me félicite de mon rire ?
« Merveilleux, votre rire ! Ça fait du bien ! »
Évidemment, elle ne l’a pas dit comme ça.
Tellement de mal à faire du mot à mot. À me souvenir des tournures exactes, des phrases, des mots précis des autres. Et tout aussi bien des miens. (Peut-être que le Je qui parle est un autre ?)
Comment j’ai dit, déjà ?
« Je suis enchantée d’être là ! Je me sens presque une petite jeune ! (j’ai peut-être dit ravie ou très contente).
Soixante-dix ans et quatre vingt-sept, ça fait une différence, dit Madeleine.
Colette s’effondre de son siège pliant. La voilà assise par terre.
« Pas de mal ?
– Non, pas de mal.
–  Vous savez que vous avez deux médecins à côté de vous ? »
Non, je ne savais pas.
Madeleine est médecin. Celle à qui j’ai souri tout à l’heure à travers la rangée de bouteilles de porto, aussi. Une Marie-Thérèse ??
« Vous, Charlotte, que faisiez-vous dans la vie active ?
– J’étais enseignante .
– Quelle discipline ?
– Lettres.
La conversation démarre sur l’article du Télérama de ce matin sur l’introduction du concept de « genre » dans les manuels scolaires. Fini les banalités ?

En sortant de l’avenue des Gobelins je m’enfonce dans les délices touffues de la rue Mouffetard et j’entends claironner à mon oreille cette phrase de Spinoza récemment débusquée sur FB : « Nous sentons et nous expérimentons que nous sommes éternels ».
C’est ce que ce déjeuner m’a fait éprouver.
Métamorphose de vieilles sorcières en jeunes femmes ?
Non. Pas jeunes femmes. Êtres humains en possession de leur humanité.
En jouissance de.
« J’épouse mon humanité. »

Voici Saint-Médard.
Là où ma mère n’a pas voulu se marier.
Tes quatre-vingt-sept ans, maman. Tu étais tellement bas. Tellement dépossédée de toi.

Je crie : Je veux l’éternité !
Et vous, Toto ?
Vous la voulez, l’éternité, ou vous vous en fichez ?
(Ah, faire rire Toto de mes incongruités !)
Toto se marre.
« Bon. Je vois que vous avez trouvé ce que vous cherchiez. Des mamans suffisamment bonnes . »
Sale type !
« Marre de vous ! Vous passez votre temps à vous défausser sur les autres ! »

*

Yeu
Soleil. En attendant les rigolos du coin, lisant Gide Les Nourritures terrestres et soulignant surprise : « La mélancolie n’est que la ferveur retombée ». Très juste me dis-je. Était-il donc cyclothymique ? Moins démodé que ce que je croyais. Et même actuel en diable. Mais plus personne ne se réclame de ce protestant hédoniste louche : rayé des cadres.
Pourtant j’aime bien : « Toute sensation est d’une présence infinie. »
… Écrire à Joachim.
Attendre Godot au soleil.
Dans le chemin la berline verte des voisins, grenouille-dinosaure métallique.
Gna, Gneu ! Vais pleurer ! Personne qui s’intéresse à moi ! Ne pose une question sur moi ! Gna, Gneu, Gnou, Gnafron ! Gnaka, Gnacamol ! Gnabitable !
Des fois qu’ils viennent pas ?
Comme si j’avais rien dit ? Rien invité ? Rien existé ?
Bon, je sors Le Siècle des Nuages.

… Apéro réussi !

*

Plage du But. J’appelle le dr Epsilon. Il rappelle. Bizarre d’entendre sa voix ici. « Mardi 16 heures. 
– OK. »
Bruit de la mer.

Question : qu’est-ce qui m’empêche de jouir de la beauté du monde ?
Non, pas exactement cela. Qu’est-ce qui m’empêche de jouir de ce moment ?
Du beau moment ?
Ce que je n’ai pas fait et qui me poursuit ? (Mais je n’aurais jamais tout fait, tais-toi Surmoi tu m’étouffes !) Peindre la deuxième couche sur la porte et sur le volet ?
Les ruminations des dents qui moulinent et concassent l’instant comme des noix ?
Rouleaux qui se brisent blancs, mer bleue beau temps, rochers brun verdi, ocre, sépia.

Je ramasse une coquille d’ormeau.
Une dame blond roux à peau blafarde sort de l’eau.
Faire cuire le potimarron. Étendre ma deuxième couche

Question : du temps du Prozac j’étais peut-être plus gaie ?

*

Tu t’assieds.
Tu essaies le matin.
Rien à acheter.
Tout à sentir.
Richesse.

Sur le port
tu t’assembles

Dans le chemin
au-dessus de la haie
que tu viens de tailler
tête d’homme
suante
rouge
jogging
Pip pip pip pip
Oiseau caché
Rafale soyeuse
Bruit d’évier qui se vide
Cri du perdreau
Jour de départ.

Chaton qui m’arrache le cœur, me colle. Hier je lui ai donné le reste des croquons d’apéro plus du vieux fromage. Erreur fatale. A passé la nuit sous les éléagnus. Maintenant miaule et m’assiège.

*

Bon, l’île d’Yeu.
Le matin, le silence.
Au loin la mer se tait.
Pas de problème pour être là .
Pour y être.

« Vous étiez seule ?
– Oui. »

Me réconcilier avec l’île. Avec le lieu.
Le silence, et dedans, loin, les petits avions qui ronronnent
Un ronflement confiant.
Je n’aime pas le bruit de mitraillette de l’hélico. Tacatacatac.
Près de l’aérodrome. Le bruit des appareils ne me gêne pas. Au contraire.
J’aime que le ciel soit habité.

« Je vous ai déjà raconté, le moteur qui s’interrompt, puis un bruit soyeux de plastique ou de soir qui se défroisse d’un coup ?
– Non.
– Trois parachutistes…. Des parachutes en forme de banane.
Et puis ceux qui font des loopings.

Ah oui, Toulouse.
Un trio des années 50.
Monique est très secrète
Quand même, on a encore à se dire.
L’association Coursuivre. Jeanne me dit…
Idée : et si je proposais un atelier ?
Pas de yoga. Quand même pas !
Il rit.
Un atelier d’écriture ?
Des textes à partir d’incipit ?

Un incipit possible, phrase de Joachim ! « J’ai dix-huit ans et un mois ».
J’essaye de me souvenir de mes dix-huit ans et un mois.
25 mai 1958. Hypokhâgne à Pasteur.
Quelle année heureuse !

Ces petits avions. Et puis ce livre. Critique à faire.
J’ai du mal. Difficile.
Le siècle des nuages.
Le père envolé.
Les lourds paragraphes en forme de rouleaux marins, qui retombent en masses d’eau. Puis reviennent à la charge après césure d’un interligne blanc.
Lourdeur des participes présents – sans sujets.
Un père qui se taisait.
Les pères ne parlent pas de leur métier à leurs enfants (il opine).

L’année des médecins.
ET le docteur Bardas, vous l’avez revu ?
Ma foi non.
Ne confiez pas votre thyroïde à un généraliste.
Je ne sais même pas ce qu’elle a, ma thyroïde.

*

Insomnie, réveil vers 4 heures et demie-cinq heures, rallumer, lire un peu de N’ayez pas honte d’être gentil, réteindre. Faire plouf. Bout de rêve attrapé par la queue.

En compagnie de Clara, chez Toto. Bureau, pénombre, rideaux, silhouette en contrejour, ombres verticales qui se déhanchent dans les plis du rideau – je m’égosille : quand même vous ne trouvez pas ça bizarre, pas seulement avec vous, avec le psychanalyste c’était pareil… ici, on ne s’appelle pas par son nom… on n’appelle pas l’autre par son nom… je ne vais quand même pas vous dire docteur, non ? Ni vous madame machin… Il y a un trou, un vide.. cette intimité d’un côté, de l’autre cette asymptote… crevasse dans le face à face… trou dans la face. On ne s’appelle pas, s’adresse pas, on n’a pas de nom, l’autre n’a pas de nom, pas d’adresse, je ne dispose pas du nom de l’autre.. Tu ne t’appelles pas, tu t’appelles rien, tu t’appelles césure, fissure, blanche ou l’oubli, tu me nommes silence, innommée, anonyme, absence ou trou de mémoire, et tu ne m’appelles pas, je suis césure, coupure, gommage, dégommée, litote ou antiphrase, que sais-je…
(Au fait, pourquoi Clara est-elle là, avec moi ?)
Toto reste insensible à mon laïus. Loin de se démonter il se carre et déploie dans son contrejour animé de silhouettes indistinctes (la sienne multipliée par le nombre de rendez-vous avec lui depuis deux ans ???). Majestueux et drapé dans sa position il me déclare avec aplomb que ça n’a aucune importance. Je m’en étouffe d’indignation Son insensibilité, son absence de finesse ! Je prends à témoin Clara, non mais tu te rends compte, ce trou, cette déchirure, ce gouffre dans le langage ! cette déhiscence dans la conversation, cet appauvrissement dans la langue ! Et ce mec prétend que ce ne n’est rien !!

Rapprochement avec des propos entendu sur France-Culture, de Jerphanion , à moins que ce ne soit Jean-Luc Marion ?
Ce rêve colle de façon troublante à mon impossibilité de m’adresser à Toto par un nom quelconque, l’apostropher, héler (sinon en lui lançant un jour un « mon vieux ! » qui le fait tiquer)… Étonnée du peu de décalage en l’occurrence entre pensée diurne et rêve nocturne.
Jean-Luc Marion dit que l’expression « je m’appelle Truc machin, je m’appelle Untel ou Unetelle, est bizarre. Car, justement, on ne s’appelle pas soi-même. On ne se hèle pas dans la rue.

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