JARDIN DES PLANTES Ô MA PATRIE (2002)

(à ma mère, qui habita jeune fille au Jardin des Plantes)
 
Jardin des plantes ô ma patrie.
Je n’y vécus je n’y naquis.
Toi, tu habitais rue Cuvier.
Ton jardinet ouvrait
Sur les grandes allées
 
Tu y emmenais le soir tes amis
C’était désert
Tout le jardin pour toi
Toutes les plantes pour toi
Les animaux pour toi
Les oies sauvages
Les otaries
Comme je t’envie.
 
Quand je vais au Jardin des plantes,
Je cherche toujours ta maison,
Ton pavillon.
 
Mais je reste indécise.
Je ne sais pas trop lequel c’est.
Ton adresse était rue Cuvier
Je devrais m’en vais fouiller mes papiers.
Regarder sur tes vieilles lettres
Le numéro.
Je tombe sur un album photo.
Je regarde étonnée
Ta jeunesse.
Ta jeunesse en veste à carreaux
Qui claque au vent en noir et blanc
Sur cette photo des années trente.
Devant la grille mangée de lierre
D’une maison qu’on distingue mal.
Bien plantée au jardin des Plantes
Tu poses d’un air vainqueur
Avec mon père endimanché
Le fiancé.
 
Vous étiez élégants.
 
          *
 
Qu’ai-je à voir avec vous, joli couple fringant
souriant dans l’entre-deux-guerres ?
Que t’est-il arrivé dans ce siècle, ma mère ?
Je ne t’ai vue qu’en léthargie
Assommée par quelque massue.
Qui étais-tu ? Ô maquillée
Qui le soir t’enduisais d’onguents
Et le matin recommençais
Redessinant trait après trait
Ton visage un peu boursouflé.
Devenue blonde platinée.
 
Ton visage peint me poursuit.
Peindre visage, c’est ma vie.
Est-ce le tien qui me chagrine ?
Je le porte je le rumine
Moi la bovine
Comme une icône inachevée
Lavée de temps et d’alluvions.
 
Mais d’un visage, on ne sait rien.
On ne peut que lire le feuillage
Qui le dissimule ou l’ombrage.
Quant aux pensées !
 
             *
 
Ô mère aujourd’hui disparue et terrée
sous la pierre et la véronique,
je me souviens de toi quand tu portais voilette.
 
Tu ne m’as pas donné d’affection très visible
Mais tu m’as donné une ville
 
Tu m’as donné la rue de Grenelle
Où tu es née
Tu m’as donné le ministère de l’Instruction publique
Tu m’as donné le lycée Duruy,
Saint-Étienne-du-Mont, Saint-Médard,
Tu m’as donné la Halle aux vins
Tu m’as donné le Muséum
Avec tout son herbier,
Son serpentarium, sa fauverie.
Tu m’as donné Paris.
Merci.
 
Quand je vais au Jardin des plantes
Je cherche ta silhouette
Et je lis toutes les étiquettes
L’arbre aux quarante écus
Le saule chevelu.
(les mêmes que tu as lues).
 
Je m’assieds sur un banc.
J’attends.
 
Je fume.
Je prends racine.
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