À la recherche du numéro sur les grands-parents, et de l’article de N. de la Perrière, vous feuilletez fébrilement ce matin la collection de Dialogue qui emplit les deux rayons hauts du placard de votre chambre.
Avec, devant, pieusement conservé mais en boule, en tapon (tapon, mot de ma mère), le dessus-de-lit blanc indien brodé de fleurs au point de chaînette,et que vous avez emporté du Pyla – comme un doudou, un linge à la fois mortuaire et transitionnel.
Outre le numéro sur les grands-parents, année 2002, n°158, dont jusqu’ici vous n’avez retrouvé que deux exemplaires (aller voir à la cave s’il n’y en a pas d’autres), vous êtes à la recherche d’un article mémorable d’un auteur américain sur les rapports avec les morts, qui exposait, à votre souvenance du moins, comment allant sur la tombe de ses parents vous pouviez leur faire causette et procès afin de réajuster vos violencelles (violoncelles, violancêtres?) psychiques, n’être plus en dette avec eux et vous plus en dette avec eux, cet article vous avait foudroyée par la simplicité, l’évidence, le culot de ce rituel – donc vous feuilletez, feuilletez feuilletez,dans quel numéro était-ce donc ? Secrets de famille ? Généalogies et fantômes ? Transmissions transgénérationnelles ??
Vous le retrouvez dans le numéro 100, autocélébration de la revue, volume plus épais, couverture plus claire, turquoise, pas outremer.
Mais, surtout, ce qui vous arrive dans ce feuilletage-feuilleton – vous tombe dessus –, c’est de tomber sur la nouvelle d’un(e) certain(e) Dominique Chapornu (pseudo dû à un certain rocher marin nommé Chapornu dans l’anse de la Gournaise ? ou à votre chatte mimi ou minnie, tigrette trouvée à l’île d’Yeu, et nommée solennellement Chapornu de la Gournaise, ou bien le petit Chapornu ?). Cette nouvelle s’intitule Les hommes de la famille. Pour des raisons qui vous échappent elle été composée en très petits caractère, italique mal lisible, alors qu’elle ne fait que deux pages et qu’il subsiste un grand pan de vide à la fin de la page 2.
Donc vous la relisez, et vous la trouvez très bonne. Vraiment très très bonne. Drôle, acérée, acerbe.Tout de suite une idée, la faire lire à Shérane ? lui donner un aperçu de l’adolescence de son père, nommé dans le texte Fiston I ?
La faire lire au dit Fiston I, qui vient d’envoyer un mail selon lequel il n’a pu décoller hier de Meaux, en raison du brouillard ?
Mais surtout au principal intéressé, le nommé Fiston III, héros de la nouvelle ?
Mais n’est-ce pas dangereux ? Car que de souffrances derrière ce ton badin, ce persiflant brio.
Demander son avis à Clara, nommée ici Fiston II, pendant qu’on y est, brouillons les pistes ! Le faux dit toujours du vrai, non ?
Peut-être l’enverrez-vous à la Critique parisienne – Bérénice vient bien d’y publier une nouvelle, dans le dernier numéro, pas encore lu.
Oh, l’envie d’être lue
Prenez l’air, petits vers de terre !
Cette histoire de charrue.Tout ce terreau remué.
Bref vous vous retrouvez au cœur de votre propre tourmente, la raison pourquoi vous n’écrivez plus étant que ne pouvant écrire que de vous-même vous diriez un tonneau de choses secrètes et malodorantes ou simplement indiscrètes sur vos propres enfants, parents, maris, amants, sur ces êtres sacrés, interdits, exclus de tout discours, de tout livre, de toute publication – devant rester cachés, invisibles dans une sorte d’arche d’alliance défendue, protégée, par quatre terrifiants chérubins bardés d’ailes coupantes ?
Coupe, coupe !
Toute votre vie s’est-elle passée à couper vos phrases !
Votre vie se sera-t-elle passée à vous couper la parole ?
Votre difficulté à vous faire entendre quand vous parlez.
Votre manque d’autorité.
Comme si sur votre visage était écrit le message :
– mais quel message ??
Trouver le message, que diable !! et tout ira mieux.
« Ne me donnez pas la parole je vais en abuser ? »
Hum.