1996 ENCORE UN RV RATÉ

 

Le répondeur clignote. Toujours un peu peur des messages qui m’attendent quand je rentre. J’appuie. Un silence. Puis  : «  Ah oui c’est vrai… Euh… Marie-Noëlle, c’est Gilles à l’appareil… je reçois demain les enfants à déjeuner, et si tu avais voulu te joindre à nous… tu aurais été la bienvenue…Aujourd’hui samedi… Rappelle-moi.  »

Sa voix me semble différente de celle que je connais. Sans majuscules ni faconde, sans renflements. Ensuite deuxième message  : «  C’était pour savoir si tu venais… mais enfin, c’est pas très grave…  » Quand tout est rembobiné, j’éteins le répondeur, comme si je ne voulais pas qu’un autre message vienne effacer ceux-là., et je saute sur le téléphone. «  Allô, Marie-Chantal  ? Écoute, c’est trop bête, Rémy vient juste de me déposer, j’ai dormi chez eux, pour garder les enfants, et maintenant, il est en route pour chez vous… oui, il vient de repartir… Le week-end, je suis souvent….. non, parfois… chez eux… enfin, ce n’est pas rare. Écoute, c’est un peu compliqué, quand je suis chez eux, je ne suis pas très présentable, je dors mal, le lit est mauvais, j’ai planté des rosiers toute la matinée, je me sens crasseuse et pas prête.

– Tu veux que je te passe Gilles  ?
– Oui, je veux bien.
– Allô… comme tu veux… mais tu pourrais venir par tes propres moyens, c’est très simple tu sais.
– Oui, je connais le chemin… Écoute bon, pourquoi pas… mais alors à l’heure du café, pas pour le déjeuner, il faut que je m’apprête un peu.
– De toutes façons, on ne se met pas à table, c’est un buffet.
– Je viens.  »

Peu après, je saute dans le RER. Je me demande si j’ai bien raison d’y aller, mais, pour une fois, je n’ai pas pris le temps de réfléchir. Chaque fois que je prends le temps de réfléchir, ensuite, c’est non.

Et puis, cela compense l’anniversaire d’Eric hier soir à Coignières où j’ai calé.
Pourquoi j’ai calé, au fait  ? Pas eu le courage d’y aller, aux 30 ans d’Eric  ?
Sans doute parce qu’aucun de mes enfants n’y allait. Rémy, Boris, normal, ils le connaissaient peu, Eric. Mais s’ils y avaient été, cela aurait réglé le problème transport.
Restait Clara. Elle a dit oui, ensuite oui peut-être, ensuite je ne sais pas, et puis est arrivé le pépin de son père – son incarcération à Châteauroux.
De toutes façons, Clara n’a pas de voiture, elle est comme moi.

Cléa m’appelle vendredi (au fait, pas oublier de lui envoyer les 100 F promis pour le cadeau collectif à Eric)  : «  Clara, elle vient  ?
– Je ne sais pas
– Pour le transport, c’est Pierrot qui t’emmènera… il viendra te chercher près de chez lui au métro Marcel-Sembat.
– Pierrot ton frère  ?
– Oui, mon petit frère  !
– Ils n’habitent plus Neuilly  ?
– Ils ont déménagé…. Le soir, il te déposera porte de Saint-Cloud à une station de taxi, il n’a pas envie de faire le détour… Voici son numéro de téléphone, pour que vous vous retrouviez ce soir.
– Pas de problème… Enfin, si, je sens un problème à l’idée d’être déposée à 3 heures du matin porte de Saint-Cloud et de pas trouver de taxi…
– S’il n’y a pas de taxi, il te raccompagnera… Ce n’est pas un monstre, mon petit frère  !  »

Ça, c’était samedi matin – le samedi 10 février. Je me trompe tout le temps dans les dates. Vérifier sur l’invitation.

«  Les 10 950 jours d’Eric
Pour faire la fête samedi, nous aurions besoin
DE VOUS (voir plan ci-joint pour ne pas trop vous perdre)
D’un Plateau de Fromage + Pain pour 8 personnes
D’une Bouteille de Bordeaux Rouge
De Bonne Humeur
D’une folle envie de faire la Fête
Et d’Honorer … notre Vedette  »

Mais pas de date dans ce chef-d’œuvre de majuscules.

Quelque chose me chiffonne dans le coup de fil de Cléa. Il y a Quelqu’un dans cette Fête que cela Dérange de me Raccompagner jusqu’à ma Porte en pleine nuit, alors que cela roule à toute blinde la nuit. Quelqu’un qui trouve normal de me jeter dans un taxi en pleine nuit et qui, s’il n’y a pas de taxi, ne sera pas très content, quelqu’un pour qui je suis une corvée… Donc, je me sens de trop. Logique. C’est une fête de famille. Leur famille. La célébration de leur famille.

Si Clara était venue. Si Boris ou Rémy étaient venus. Mais visiblement, n’avaient pas envie. S’en foutaient. Cela aussi, cela m’avait assombrie. Il ne leur était pas venu à l’idée que cela pouvait me faire plaisir qu’ils m’accompagnent… Maintenant, ce qui me chiffonne, c’est l’idée d’une nuit blanche qui va me déverser sur une place noire sinistre et qui va me coûter, outre 100 F de cadeau, un plateau de fromage, du pain et du bordeaux, et un taxi de nuit… Une invitation finalement très payante, un peu trop chère pour moi. Surtout en ce moment. Pas le moment de claquer de l’argent pour des gens que j’emmerde en n’ayant pas de voiture.
Cela me rappelle confusément des histoires que j’aie eues naguère avec Cléa à qui je demandais de m’accompagner en voiture. Elle me reprochait de la prendre pour son chauffeur, ah son ton de maîtresse d’école…. Cela m’épuisait, j’avais l’impression que moi aussi je lui rendais des services, parfois… Elle rugissait comme une lionne blessée, sa furie asociale.

Retour à l’invitation de Gilles. Il fait beau à la gare du Pecq, et un de ces silences campagnards des dimanches au Vésinet. L’air est plus vif qu’à Paris. Je vérifie où se trouve la rue sur le plan. Je cherche le 5 bis. Pas de 5 bis, mais, dans le jardin du 5, Shérane et Joujouk sur une balançoire, avec le petit Tom, le fils de Coline.
Je pense que finalement Gilles voulait me montrer sa nouvelle maison. Ou fêter sa récente levée d’écrou avec des familiers.
Je remarque dans l’entrée une icône que j’ai faite, jadis, couleurs très criarde, bien ratée  : une Annonciation au vert acide et au jaune citron.
Mon Dieu  !
0ù est passée l’autre peinture sur bois, très belle, en trois panneaux, un vrai original, que je lui ai donnée aussi  ?
J’aimerais la revoir.

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