Mon fils aîné s’esclaffe lorsque cessant mes cachotteries
Et prenant mon courage à deux mains à Montreuil je lui dis
que je cherche un éditeur pour mes poèmes de nuit.
Je veux, lui dis-je, émerger au grand jour, cesser de murmurer
des confidences à de simples tiroirs.
Et le voilà plié en deux de rire : « Mais l’édition papier, c’est mort !
Publie-toi donc toute seule sur le Web comme une grande,
Fais-toi un blog, prends-toi en mains, ne compte sur personne,
Le livre, c’est fini ! » Offusquée je m’étrangle
J’ai la religion du papier, la compagnie du livre
Me berce le soir dans mon lit, pas mon ordi
Et j’attrape une quinte de toux à tenter de lui expliquer
Qu’avoir l’avis de quelqu’un d’autorisé, un humain en chair et en os,
Et dont c’est le métier, intelligent peut-être, ou sensible, ça compte
Un interlocuteur, en somme. Pas l’écran solitaire.
Je lui dis « Quelqu’un de réel ». Mais il rit de plus belle.
Pour lui je vis ailleurs, dans le passé. Je suis une irréelle.
Lui, l’informaticien, navigue dans le virtuel.
Le virtuel lui fournit de l’argent bien réel,
Une belle maison bien matérielle
du pouvoir bien palpable, des insomnies bien corporelles.
Tout cela est troublant. Car moi, quand je lui parle, prenant
Ai-je dit le taureau par les cornes,
Quand je cesse de marmonner dans un rôle prescrit
Et converse avec lui d’une voix soudain normale
Ma réalité se casse le nez.
On me dit que je vis chez les fantômes !
Pourtant, je venais justement de cesser de le considérer
comme un sous-développé des vérités humaines
et pour une fois je m’adressais à lui non plus
comme à un grand benêt inculte à qui je ne dis rien
mais comme à un homme qui existe.
Je brisais le tabou qui fait qu’à son engeance on tait
Ses fragiles désirs d’être au monde autrement que par elle
Et voilà, il s’esclaffe !
Et de sa barque il me refoule dans l’eau à furieux coups de gaffe
Il est clair qu’une mère, pour un grand garçon comme lui,
Est un personnage du passé.
Si elle cesse d’être une ombre
Aux gentilles incantations, aux insignifiantes pénombres
Elle encombre
Mais cette scène est sans fond
et comme ce fils et moi vivons dans les écrans
D’ordinateur, quoi que différemment,
Je me dis que, derrière, il se passe autre chose,
Que c’est une scène-écran.
Et que peut-être il voudrait que je lui fasse lire d’abord, à lui,
Mes si mystérieuses élégies