Je suis allée chez lui Il avait les paupières froissées Je lui ai dit Vous avez l’air mal réveillé Il a eu l’air froissé J’ai regretté Ma fille Avale ta salive Tu es trop agressive Il a regardé ses notes, il m’a fait son ptit résumé Quel maladroit C’était à moi de m’en charger J’ai démarré je lui ai dit Souvenez-vous de mon grand rire Telle doit être mon épitaphe. Le rire déjà cachait la mort Soudain m’est revenu Le grand serpent malicieux Qui me coursait en rêve Oui un rêve antédiluvien. Je n’avais jamais fait le rapprochement entre mon grand rire de maritorme et ce rêve. Presque un rêve de chamane. Il faut vraiment que je vienne ici pour faire ce rapprochement, je n’y avais jamais pensé avant.
Un boa qui me court après. Si l’on peut dire, puisqu’il n’a pas de jambes Sur le ventre et sans jambes Étrange, étrange Disons qu’il me riait après. Il avait une tête de dessin de Walt Disney, ce qui me fait penser après-coup à un rêve écran. Dans le petit bureau, j’en profite pour faire mon cinéma de plus belle. P’tit mec, je vais te faire mon numéro, mon one woman’s show, tu vas rire. Il demande : « À quoi il ressemblait, ce rire ? Était-ce un rire sadique ? – Non, il riait comme une baleine. Il se tordait. Plié en deux. Hilare. Ce gros machin se gondolait. Ses écailles étaient constituées de morceaux de verre irisé incrustés sur son dos, exactement comme sur un bibelot qu’il y avait chez mes parents. Une petite tortue venue d’Extrême Orient, avec des tessons de verre brisé collés sur la carapace. Vert émeraude avec un tas de reflets jaunes, dorés et bleus ».
Maintenant, je fais ma Shéhérazade. Tiens, attrape, encore une histoire ! Je le bombarde. Mon cher Schariar mal réveillé De je ne sais quelle nuit Encore un flot de paroles, encore une rasade. Tu vas être épaté, ébloui, si je te dis qu’un jour – ou plutôt une nuit – je me suis convertie. Mais non c’était le matin du Samedi-Saint, le Christ est descendu aux limbes et on est aux limbes avec lui, pas mal comme vérité psychologique, on essaie de réveiller les vieux Adam et Eve qui y sont en souffrance depuis le début du quaternaire. Oui oui, j’ai été à Toulouse. Un temps de chien. Oui oui, une amie que je connais depuis que j’ai huit ans. Eh bien oui, encore une. Vous savez, de mon temps, on faisait toute sa scolarité dans le même établissement, alors on gardait ses amis. Samedi c’était l’atterrissage, par chance, je venais d’apprendre par Facebook que la pâques orthodoxe était ce samedi-là. Quel bol ! Pâques comme transition entre un lieu et un autre. Pas mal vu. Entre un état psychique et un autre. Mais une fois dans l’église, pas si simple. Je n’arrêtais pas de me dire qu’est-ce que je fous ici qu’est-ce que je fous ici ? Je le disais pour que quelqu’un me réponde. En fait, dans cette paroisse, je ne connais plus personne. Sauf Barbara et Wolfram. (Au fait, répondre à Barbara, son mail). Les chants étaient si beaux. Berceuse pour un mort. Dors, dors, tu n’es pas mort. Une douceur déchirante.
Si doux, si maternels. Lorsque j’y pense, saint Augustin c’est une raclure. Il a déressuscité le Christ. Il a remis en selle le péché originel alors que les orthodoxes disent qu’après la Rédemption le péché originel est kaput. Plus de malédiction. Ah, cet horrible saint Augustin ! Oui j’ai dit que j’aimais ce qui remonte aux origines j’ai prononcé ce mot. Mais pas un mot, pas une association sur le serpent du paradis perdu. Non pas un mot sur le péché originel. Était-ce lui ce python qui me coursait ? Le péché originel, et puis quoi ?
J’ai préféré parler dragons. Dans l’église orthodoxe, sur les piliers de fonte l’autre soir se trouvaient collés de petits papiers genre pense-bête, on y lisait imprimé en grosses lettres : « Le Christ est ressuscité – Par sa mort il a terrassé la mort ». Terrassé balancé en gras. Avant, je me rappelle, on chantait : « A vaincu la mort ». Je l’ai dans l’oreille. Pourquoi ont-ils changé la traduction ? Quelle différence entre les deux ? A quoi ça rime ?
À quoi ça me fait penser ? Saint Georges et le dragon. En Occident, saint Michel tue le dragon. En Orient, on ne le tue pas. On se contente de le terrasser. On le remet à sa place. On le refoule. Remet sous terre. Sur les icônes on voit dans la terre un grand trou aux bordure naïvement découpées en forme d’étoile, St Georges sur son cheval blanc d’un coup de lance le fait rentrer chez lui. Au trou, dragon. Au pied. « Mais alors, il peut revenir ? » demande le psy. Je prends un sourire ravi : Évidemment. C’est même tout l’intérêt. Pourquoi avoir peur des dragons ? Il y a des dragons sympathiques. Voir Shrek.
Nous parlons un moment de Shrek et de sa dragonne. « Elle est amoureuse de qui, déjà ? – de l’âne. » Je maintiens que c’est une gentille dragonne. Mes souvenirs sont flous.
« Maintenant que j’y pense… on dit que certaines mégères sont des dragons. Je suis née l’année du dragon. Est-ce que ma mère était un dragon ? Est-ce que je suis un dragon ? »
Je ne lui ai pas dit encore que j’étais née l’année du dragon de feu. Mais ça doit se voir un peu, parce que j’ai autour du cou une écharpe orange en soie chinoise particulièrement éclatante, le tout sur un pull bleu pétrole à encolure et poignets vermillon. Si c’est pas un look de dragon, ça !
De drôles de choses me reviennent. Par exemple, que je n’ai pas voulu que mon fils devienne orthodoxe. « Il avait quel âge ? – Heu… dans les douze, treize ans. Il en manifestait le désir. Moi j’ai pensé : trop marginal trop décalé trop déjanté. Trop d’exil. Qu’il reste dans sa patrie. Au centre. Central. Oui, il a fait Centrale… Qu’il aille à l’aumônerie de quartier. Peut-être ai-je eu tort. Je l’ai refoulé. Pas accueilli dans mon délire… Qu’est-ce qu’il en pense ? Aucune idée. Jamais demandé. Peut-être, un jour, lui en reparler ? »
Cher, cher psy. Je vous abrutis de paroles. Vous raconte comment j’ai rencontré Matzneff après avoir lu Comme un feu mêlé d’aromates et le Carnet arabe. Comment, vous ne connaissez pas Matzneff ? Je lui ai écrit, il n’en revenait pas d’avoir converti quelqu’un. Je viens à Paris, le rencontre sur les quais. Chauve comme un galet, j’en ris encore. Je m’imaginais un hippie à crinière léonine. Crise de jalousie de Gilles, qui va réveiller nuitamment le sieur GM dans sa garçonnière, bien sûr, je n’y étais pas, c’était une autre fille. Fureur du sieur GM. J’en ris encore. Sa jalousie, à Gilles ! Persuadé que j’avais une histoire d’amour avec GM ! « Mais c’était bien le cas », murmure le psy d’un ton entendu en omettant le point d’interrogation. Mais non ! Pas du tout ! Jamais ! GM n’aime que les petites filles. Sulfureux personnage. Histoires de sorties de lycée. Moi, j’étais mère de famille. Tout ce qui le débecte. Un peu mûre, un peu déformée. Chair par où sont passés des intrus. Entre parenthèses, ces histoires de séduction d’enfants, je n’en crois pas un mot. Au fond de l’église la jeune Élisabeth avait bien dix-huit ans. Même pas belle. Revenons à moi, si vous voulez bien. GM, il est si frêle. Moi, rien d’une liane. Robuste, bien plantée, paysanne. Rien qui colle entre nos deux corps. Pas la moindre attirance. OK, d’accord, j’ai un visage long et triste, genre Buster Keaton, pas du tout paysan, mais mon corps et ma tête ne vont pas ensemble. Ma tête a un autre corps, je ne sais où, un corps fantôme, et mon corps doit avoir une autre tête quelque part. Je vous l’ai dit, que je suis double. Deux schémas corporels complètement dépareillés. Marrant, non ? Le visage de mon corps, il est où ? Non, le corps de mon visage ne m’intéresse pas du tout. Je le crois anorexique.
Je vous l’ai déjà dit, j’ai été élevée chez les catholiques. Pendant mon mariage, j’ai mis la religion entre parenthèses. Mais c’est comme le dragon, on a beau s’en battre l’œil, ça travaille de façon souterraine, ça couve. Devenir orthodoxe, c’était transformer le dragon furieux en dragon bienveillant. Puisque je vous dis qu »on ne peut pas vraiment le tuer ! Alors, il faut le métamorphoser. Chez les catholiques, tout est tellement juridique, moralisant, tracassier. Chez les ortho, rien de tout ça. La morale sexuelle, la morale, s’en battent l’œil. Leur Dieu s’en fout, il est au-dessus de ça. Et puis, Dostoievsky. Donc, c’était une façon de pouvoir divorcer sans déchirement religieux, sans anathème, sans excommunication. L’excommunication, on a beau faire la fière, on n’aime pas. Le mot est terrible. Et ça peut vous conduire à haïr des gens – les excommunicateurs – ce qui est mauvais pour la santé. Oui, c’était la voie douce vers le divorce, sans peine éternelle à la clé. Sans déchirement religieux. Les autres déchirements suffisent, il me semble.
Donc, de fil en aiguille, je suis devenue orthodoxe. Gilles, ça l’a fait bien chier. Gabriel était mon parrain. Mais après, avec Gabriel, ça s’est gâté. Il avait publié un livre sur son mariage, c’était sans doute autobiographique mais ça s’intitulait roman, ça s’appelait Isaïe réjouis-toi. Il a toujours de très beaux titres. Autant que je me rappelle, il racontait comment sa femme et lui étaient tombés amoureux du même jeune Anglais, et du désastre qui s’en était suivi. C’était un livre sur le couple, je m’occupais d’une revue de conseillères conjugales, j’en ai fait une critique pour la revue, et je la lui ai envoyée. À la sortie d’une liturgie, il me fonce dessus. « C’est vous qui avez écrit cette critique sur mon livre dans la revue X ? » Je lève les sourcils et je réponds oui, puis j’entends : « mais vous n’avez pas honte de ce torchon, c’est ignoble » ou bien « vous êtes ignoble », je vacille. Grande expérience. Personne ne m’avait encore dit que j’étais ignoble. Il va falloir assumer ça. Le prendre à bras-le-corps. Peut-être que quand personne ne vous a encore dit que vous étiez ignoble vous n’êtes pas encore totalement humain ?
Le psy m’arrête : « Qu’est-ce qu’il y avait, au juste dans cette critique ? – Sais plus très bien… je pense que je faisais une analyse psychologique du personnage principal et de ses relations de couple… Tout ce dont je me souviens, c’est que j’avais écrit : ‘Dieu merci, les mères sont là, suffisamment mauvaises’. – Vous n’aviez pas du tout conscience que votre papier allait lui déplaire ? – Pas le moins du monde. Au contraire. Je pensais qu’il serait ravi de mon analyse. » Il me redemande : « Qu’est-ce que c’était, déjà, cette phrase ? – »Dieu merci, les mères sont là, suffisamment mauvaises »… Peut-être qu’il y avait un personnage-repoussoir de belle-mère, ou quelque chose comme ça, à qui le héros attribuait la responsabilité du naufrage conjugal ? En fait, je ne sais plus très bien… En tout cas, ce jour-là, je l’ai reçu en pleine poire, son lance-flammes… Mais ensuite j’ai fait front, je lui ai écrit une lettre lui disant en substance : »Mon bon, vous êtes bien gentil, mais c’est un ouvrage public, en plus c’est un roman, je n’ai jamais parlé de vous mais de votre héros, si ça vous a blessé c’est que vous vous confondez avec votre personnage, mais alors il ne fallait pas appeler ça roman, et puis, si ne vouliez pas qu’on ait un avis sur cette histoire, il ne fallait pas la publier voilà tout. » Vous n’êtes pas d’accord ? »
Je n’ai pas souvenir qu’ils m’aient répondu, ni Gabriel ni le psy, mais peut-être que je me trompe. Ma mémoire est très sélective.
Samedi soir, donc, il était là, dans l’embrasure de la porte de l’église. Arrivé en retard. Moi, je suis en train de sortir en toute hâte, parce qu’avec toutes ces bougies et la station debout je sens que si je ne prends pas l’air dans la minute je tombe dans les pommes, ce qui serait sûrement délicieux pour moi, mais un ennui pour les autres. Mon visage s’éclaire : « Gabriel ! » Il s’exclame : « Ma filleule ! » , mais ça ne va guère plus loin. Ensuite, il me présente à une très jolie blonde nommée Anastasia. Il n’a pas de cierge, je lui donne le mien. Je le regarde en douce. Depuis que je le connais, il n’a pas vieilli d’un iota. Teint rose, pas la moindre trace de double menton, de paupière affaissée. Comment fait-il ?
Peut-être a-t-il vendu son âme au diable ?
Allons, je suis méchante. Il l’a peut-être vendue à Dieu, après tout ? Et dans ce cas serait le seul à s’être rendu compte que l’on peut conclure avec Dieu un pacte d’éternelle jeunesse ?
Pas bête, le Gabriel !
Je suis à deux doigts de m’en aller quand une femelle étrange m’aborde, cheveux flous, look de déjantée, yeux illuminés, c’est la première fois qu’elle vient ici. Non, personne ne l’a amenée, elle est venue de son propre chef et ne connaît personne. Elle a la tête de quelqu’un qui vient de tomber de cheval sur le chemin de Damas et son visage est en train de se rapprocher dangereusement de ma bulle vitale de sécurité, elle est même en train d’y faire carrément effraction. J’adore les fous mais surtout dans les livres. En vrai, ils me pompent l’oxygène. Mais peut-être aussi que j’envie férocement cette jeune femme d’être touchée par la grâce, moi qui dans le fond de cette église me suis sentie une personne déplacée ? Je ne commence un peu à respirer que maintenant que j’ai les pieds sur le trottoir et que je peux bavarder avec l’un ou l’autre des retardataires qui n’ont pas pu entrer – genre Bertrand V. ou bien un grand jeune homme massif, gentil, qui me semble un géant, car la dernière image que j’ai de lui est celle d’un garçon de treize, quatorze ans – doté d’un frère jumeau.
De l’autre côté de la rue Saint-Victor, sur le trottoir d’en face, quatre passants ont fait halte. Ils regardent porte ouverte d’où sortent à peine atténués les mystérieux tropaires venus du fond des temps.
Cette année, une fois de plus, le Christ s’est relevé des morts.
Le Christ ou le grand Pan ?
Une fois rentrée de chez le psy, un peu étourdie, je repense à mon grand serpent vert et j’associe toutes sortes de fariboles au sujet du rire de Pan.
Mais pour l’heure, je pense que c’était un marsouin, ce serpent. Sa façon d’onduler. Pas du tout comme un serpent ondule à ras de terre, car les ondulations se propageaient sur un plan vertical. Un peu aussi comme ma signature, mnm, un pont à huit arches.
Huit arches, huit amis sur Facebook.
Ou huit vagues marines. Tête de la conseillère financière en voyant mon paraphe. N’en croyant pas ses yeux. Et moi interloquée. « Ben quoi ? Ce sont mes initiales ! »
Vaguelettes, vaguelettes. Comme mon humeur à deux temps, le trop et le pas assez, le creux et la crête. Déprime et puis dilatation. Comment appelle-t-on ça, déjà ?
Cyclothymique ?
Bien sûr que oui. C’était un marsouin.
Et moi, je suis sûre que les marsouins ont encore l’air de rire alors même qu’ils pleurent à chaudes larmes.
*
Bon, c’est fini pour cette fois au sujet de mon boa… Mon truc en plumes.
Marsouin
Bonhomme Michelin
Nunc est bibendum
À présent, boire l’obstacle !
Python, pythie, pythonisse
Grand Serpent vert
Persan sévère
Grand Pan pervers
Grand sang pervers
père sévère rire aux larmes pente sévère cent pervers
« Dans la mythologie grecque, Python (en grec ancien Πύθων / Pýthôn) est un dragon, fils de Gaïa (la Terre), ou bien d’Héra selon les traditions. Python veillait sur l’oracle de Delphes, consacré primitivement à Thémis. Apollon le tua, se rendant ainsi maître de l’oracle, depuis nommé « Pythie ». Ce mythe est relaté en détail dans les Hymnes homériques, dans l’hymne 3 « À Apollon ». Au IIe siècle, Pausanias le Périégète rapporte une légende selon laquelle Apollon, pour se purifier de la souillure religieuse liée au sang versé après le meurtre de Python, se rendit en Crète, à Tarrha, où il fut purifié par le prêtre Carmanor. Pour apaiser la colère de Gaïa, Apollon créa les Jeux pythiques.
Macrobe, dans les Saturnales, écrit que Python pourchassa, sur l’ordre d’Héra, Léto, la mère d’Apollon, lorsqu’elle était enceinte du dieu et de sa jumelle Artémis. C’est la raison pour laquelle Apollon, tout enfant, tua Python avec ses flèches. »
(https://fr.wikipedia.org/wiki/Python_(mythologie))