5 mars 2009
Avec Armelle dans un tunnel.
Le tunnel de la Défense.
NOUS AVONS gagné UN BILLET GRATUIT POUR PARTIR EN BRETAGNE.
En Espagne.
Ailleurs peut-être.
Un voyage agréable à deux.
Je me charge de tout elle attend.
Je vais au guichet échanger le coupon trouvé dans un journal contre le billet.
Voilà, c’est fait.
Mais où est-elle passée ?
Il y a dans ce paysage deux parties distinctes et contractées (contrastées, je fais un lapsus).
L’immense tunnel souterrain ténébreux et au bout, à la sortie, un immense parvis lumineux éclaboussé de grand soleil.
Tel est le site de la Défense. C’est là qu’Armelle travaille.
Là que sont enterrés mes parents.
Le tunnel est interminable, étroit, mais au bout on voit la lumière. Le rebord de pierres qui termine l’arche arrondie du tunnel est luisant comme une céramique, vernissé, mouillé de soleil.
L’image est belle de cette issue, simple, presque archétypique.
Cela ressemble à la remontée du canal St Martin faite avec Pacôme vendredi, et à la gravure ancienne de la voûte souterraine dudit canal que je lui ai envoyée par mail.
Dans le rêve, je suis à la fois dans le tunnel et sur le parvis ensoleillé où Armelle doit m’attendre avec mes deux billets, près d’un kiosque à journaux.
Je ne m’étonne pas qu’elle ne m’ait pas accompagnée au guichet, et qu’elle se contente de m’attendre au soleil. En attendant, je ne la trouve pas.
Heureusement je commence à savoir me servir de mon téléphone portable. Je l’appelle.
Non sans complication, car il semble qu’il y ait deux portables, le mien, noir et luisant, et un autre, bariolé, cadeau réclame dont je ne sais trop s’il marche.
Armelle répond. Elle est près du grand kiosque à journaux et ça me semble si rassurant et évident d’entendre sa voix que je ne lui demande pas de préciser si c’est dans la partie souterraine ou la partie ensoleillée que se trouve ce kiosque.
De toute façon, dans le rêve ces deux parties semblent interchangeables, constituent le même lieu sous deux espèces antinomiques.
Tunnel d’ombre et parvis de lumière, c’est selon.
Je me tiens au milieu du tunnel, semble-t-il. D’un côté j’aperçois le parvis lumineux, et de l’autre la grande salle souterraine, la grande gare souterraine.
Le grand échangeur, comme on dit.
Voici Rémy et son engin motorisé, il propose de me remonter jusque dans la grande salle souterraine, c’est là qu’elle doit m’attendre. Dans la pénombre.
Il y a là bas un grand kiosque à journaux. On distingue d’ici les grandes feuilles blanches des journaux quotidiens accrochés à ses parois qui palpitent, battent, faseyent.
Mais là bas pas d’Armelle et je lui retéléphone, me demandant toujours de mes deux téléphones en poche lequel est le bon.
Puis je redescends à pied le long tunnel vers la lumière, c’est plus long que la remontée motorisée mais cela descend, je débouche.
Maintenant il faut descendre des escaliers pour arriver sur le parvis.
(Comme il fait beau ! Le parvis est de marbre blanc.)
Deux escaliers, un qui descend directement l’autre qui fait un détour.
Devant moi une grand-mère et son petit fils empruntent l’escalier direct.
Après hésitation je fais de même.
Je passe une rambarde, mais, par derrière, un saut, un à-pic, il manque des marches. Ce n’est pas un escalier mais une corniche. Je suis prise de vertige.
Cette situation debout sur une corniche étroite et vertigineuse est un rêve récurrent.
(Images en contrepoint dans ce même rêve de Juliette filant à quatre pattes comme un chat sur un rebord de corniche après avoir enjambé le garde-corps de la fenêtre de la maison (du Vésinet) où je la garde, cela malgré mes cris, mes interdictions, et bien que je l’attrape par les jambes et la taille, rien n’y fait – joues roses, elle rit, elle ne tombe pas, mais j’en ai des sueurs froides.)
Ici donc, à la Défense, au moment de descendre sur le parvis, je me sens au bord d’un gouffre, au bord de la chute.
Je remonte en enjambant lourdement la rambarde, allongée sur le ventre, encombrée de mon poids, peu agile, et me décide à prendre l’autre escalier, celui qui tourne, plus long, moins raide, et qui a toutes ses marches.
C’est alors que je me réveille. Il est neuf heures.
Hier :
Hier je me suis rendu compte que je toussais encore très gras.
Hier je suis partie sous la pluie glaciale à mon rendez-vous boulevard Saint-Germain avec Laurence A la psy de Pirandello et j’ai descendu à pied la rue Saint-André des Arts ou bien Monsieur le Prince, je confonds les deux, j’ai admiré en passant la beauté des immeubles anciens, cette rue n’avait pas été crevée par Haussmann.
Hier j’ai dit à Laurence A : « je ne vais pas rester longtemps, je suis juste venue vous dire que je ferais pas affaire avec vous.
– Vous avez envie de m’en dire un peu plus ?
– Non…. Si je commence à parler, ça va enclencher quelque chose…
… Ce que je peux vous dire, c’est que ça a à voir avec la cadre institutionnel où je vous ai rencontrée.
– C’est-à-dire ?
– C’est un centre de prévention… D’accord, on y est très gentil, on nous veut du bien… mais il y aussi un peu de contrôle social. »
Je me suis levée et suis partie en ajoutant qu’une entrée en matière dans ce cadre aurait quelque chose de néfaste, j’ai été étonnée par ce mot, néfaste, je l’ai trouvé bizarre, impropre.
En rentrant j’ai acheté deux maquereaux sur le marché, et un plant de jonquilles, qui sont peut-être des narcisses.
Chez moi, je me suis sentie très calme. Un peu triste à l’idée de ne plus revoir Laurence A et son sourire excessif, systématique et fabriqué, et si je n’avais pas pris moi-même un sourire plaqué j’aurais eu envie de lui grommeler : « Arrête de grimacer, greluche, prends donc l’air que tu as. »
Hier, à midi j’ai mangé un sandwich au pâté, les maquereaux le soir.
L’après-midi, j’ai été à la gym, et ai dû sortir au milieu, secouée par une toux incoercible et nerveuse. Je suis rentrée ensuite dans la salle après m’être calmée.
Hier j’ai relu sur l’ordinateur quelques-uns de mes poèmes récents.
Hier j’ai rendu à la bibli le journal de Pierre Bergounioux (Carnet de notes), que je n’ai pas fini.
Hier j’ai commencé à lire Ma vie parmi les ombres, de Richard Millet, et après un moment d’agacement me suis laissée prendre, j’y ai plongé, coulé, nagé, me suis laissée enchanter par ce monde disparu revenant à la surface. Et s’emmêlant à mes recherches bizarres sur le Web des traces du vieux Paris. Le bizarre intérêt qui me prend pour les bâtiments disparus.
Samedi 7 mars 2009
« Y a erreur sur la personne ».
En revenant, à pied, rue d’Alésia, acheté une rame de papier machine – prix d’un paquet de cigarettes. « Il faut beaucoup de temps pour devenir jeune » aurait dit Picasso. Cité par Marceline Léridon sur France Culture, quatre-vingt dix ans. Veuve de Joris Ivens. A tourné un film avec Edgar Morin.
Ce qui me frappe? c’est que depuis que j’ai trente ans, je me sens Trop vieille.
Mélancolie de l’anniversaire de mes trente ans à Cholet ; trop vieille pour plaire.
Prudence, ai je dit au psy. Par prudence. Comme si, à un certain moment, j’en avais trop dit. Trop lâché. M’étais trop montrée. Exposée.
(N’est-ce pas Dr Esposito ?)
Ubris.
Y avais été trop fort.
Tu y vas fort.
«Tu nous fais peur.»
N’insistons pas.
Retirons tout.
Cachons tout.
Y a eu erreur sur la personne.
Téléphoné chez Clara, « pour tester que mon téléphone remarche ».
Il semble que oui. Passé la matinée entre Darty et la Fnac, où un jeune homme au juvénile visage asiatique m’indique un magasin spécialisé dans les piles avenue d’Italie. J’y vais. Soleil. Longtemps que je n’avais déambulé en ces lieux, je reconnais quelques immeubles somptueux à grand porche genre immeuble pour loger les salariés d’une administration ou d’une banque (y retourner pour voir). Près de la porte d’Italie, le vendeur est jeune, pathétiquement laid – sympathique aussi. Il n’a pas exactement mon système mais il va se débrouiller en faisant deux soudures, «ça va prendre deux minutes ».
« JE VAIS VOUS COUVRIR D’UN FLOT DE PAROLES »
LES DEMANDES DES AUTRES, C’EST JAMAIS ÇA ; JE me sens toujours ail-meurs.
Toujours à part.
Du coup je fais cavalier seul
Lundi 9 mars
j’ai écrit sur mon agenda :
Ma vie qu’a pas existé
J’ai souffert tous les jours de ma vie.
J’ai été en souffrance tous les jours de ma vie
Mardi 10 mars 09
Le téléphone remarche. Long coup de fil de Jeanne. Me propose 3 jours à Millau début juillet pour une réunion genre anti-OGm José Bové, (développement durable, écologie, les-pieds-sur-terre) et c’est OK pour débarquer à Toulouse à Pâques. Lui dis que je vais voir un psy, me répond qu’elle aussi a été en voir un.
« Ben oui… »
J’adore la musique de ce « ben oui ». Pensif, tranquille et réaliste.
Tout Jeanne.
Ben oui…
C’est bien de se confier.
Je laisse un message sur le répondeur de Lucie B.
Mercredi 11 mars 2009
Soleil ce matin, levé tard – 9 heures et demie. Muscles du dos miraculeusement détendus depuis que j’ai appuyé sur l’alarme du radio réveil pour l’arrêter.
Sur l’auvent un merle noir, bec orangé, œil rond. Me voit. Je ne bouge pas. Trapu, plumage brillant.
Je descends au rez-de chaussée, un peu d’ordre dans les peintures, dessins, faire le point dans cette marée. Fixer les pastels. Les regarder, surtout. Qu’en faire ?
Marché. Pépiement d’oiseau là-haut, dans les branches. C’est peut-être une mésange, et si c’est une mésange elle zinzinule, et si elle zinzinule…
Ravie de ce verbe.
Mésange tu zinzinules
petit bidule
en forme de virgule
15 mars 09
Soleil. Ordinateur. Photographier peintures. Classer. Titrer.
Titre qui survient : les tentatives de cerveaux (ou : l’essayage de cerveaux). (Un peu comme « chez la modiste », de Degas, l’essayage de chapeaux)
Ce à propos de formes géométriques simplettes que j’ai complétées par des têtes (des bras des jambes aussi) pour en faire des « bons hommes ».
Autre titre, à propos d’un découpage-collage : « Tentative de féminisation du chaos ».
Le chaos, ce seraient les grandes coulures abstraites et sensuelles, violentes peut-être, brutales sûrement, que j’ai laissées venir à l’atelier W et qui m’encombrent et me débordent. Difficiles à jeter car il y a en elles quelque chose de « bon », une matérialité splendide, mais qui pour moi coexiste avec du mauvais, du terrible, du sombre, c’est-à-dire de l’insensé, du désespérant, du douloureux à souhait. Du désordre.
Peut-être seulement de l’inachevé et de l’inaccompli. Du sans forme.
Pas en forme en ce moment. Pourquoi j’ai pris ces rendez-vous avec ce jeune homme aux yeux bordés de flou (ou de clair obscur ?) à qui je débite ma rengaine sans surprise ? Mais dans la semaine, nouveauté, j’ai pleuré, reflux de marées, de sanglots. De souvenirs pas dépassés, avalés, pardonnés. Chats dans le gosier, ça piaule.
Reflux.
Pourquoi je ne suis pas restée avec elle ce soir-là de réveillon, « pourquoi je lui ai fait ça ? » Pourquoi je suis montée dans le taxi avec Clara et la chauffeuse pour me ruer à Montreuil, où m’attendaient enfants, petits-enfants, et la grand-mère d’Olga, aussi hors d’âge et branlante que maman ?
Autre voix qui vient en ressac : « Pourquoi elle m’a fait ça ? Ne pas venir, alors qu’on avait tout combiné, arrangé, organisé, pour qu’elle vienne, qu’elle ne reste pas seule, qu’il n’y ait pas à choisir entre elle et les enfants ? Pourquoi elle n’a pas fait un petit effort ? N’a pas réalisé ce qu’elle me faisait, le déchirement, le chagrin ?
Réponse : elle était mal, elle était déprimée, elle se laissait mourir.
Soleil. Ordinateur. Ne pas sortir. Écrire.
Sacrifier pour écrire. Sacrifier le soleil. Sacrifier l’air.
Sacrifier la promenade.
Dans son Carnet de notes Pierre Bergounioux écrit qu’il se lève à quatre heures du matin pour écrire, garder le temps de vivre normalement dans la journée, écouter les oiseaux, faire ses cours, laver des pull-overs, persécuter son fils, se promener avec sa femme, voir des amis.
Quelle ascèse.
Ce matin à la radio le thème de l’émission orthodoxe est l’ascèse.
Je me plains au jeune homme des choses qu’il faut toujours recommencer, qui ne sont jamais acquises. Se nourrir, se laver, faire des courses, faire le ménage,laver le linge.
Gestes jamais inscrits dans le marbre.
Reçu une carte d’Annita, du Brésil, me souhaitant une bonne année.
Elle rêve de Baptiste une nuit sur deux. Me dit qu’elle n’arrive pas à faire son deuil.
Lui répondre.
L’autre qui me dit (de la publication de L’Envahie) : « Vous n’avez pas fait votre deuil ? »
Moi interloquée. Deuil ?
Deuil de la jeune luciférienne (le « double » persécuteur) ? Deuil de l’envie d’écrire ?
De son besoin vital. « Ce que je n’écris pas, je ne le vis pas ».
Je lui lâche : « Je m’obstine. Persiste et ne signe pas. »
Lui : « Pour qui écrivez-vous ? »
Moi, interloquée : « Heu… Ad majorem dei gloriam… Pour la gloire… Pour augmenter l’univers… Pour ceux qui ne sont pas encore nés… Pour mes semblables… s’il en existe… »
Au début, j’écrivais pour Baptiste ?
Pour celui qui est mort, pour celui qui n’est pas encore né ?
« Hommes du futur, écoutez ma voix ».
Est-ce lui, en face de moi, le jeune homme du futur à qui je m’adressais sur l’autre rive dans les années 70 ?
Je me demande quel âge il peut avoir. Plus jeune que Rémy ?
Comique
21 mars 09
Toujours chez le psy.
Après mon histoire avec les psys, celle que j’ai voulue, décidée, où j’ai dit je, je lâche la préhistoire, la ténébreuse, la gênante, que j’avais oubliée l’autre fois. L’honnête Guérard des Lauriers, et mon séjour à la clinique des Pages.
« Vous connaissez, la clinique des Pages ? »
Il connaît.
Ma fuite aux sports d’hiver, mon envie d’échapper, de n’être plus possédée, bouclée.
D’avoir une adolescence. De m’amuser. Flirter. Séduire.
Le retour en fanfare, le conseil de famille, mes parents bien embêtés d’avoir financé l’escapade, mon plaidoyer pour les convaincre : « Je suis très fatiguée, besoin de prendre l’air ».
Aucun mensonge là-dedans.
L’enfant que je leur ai laissé à garder, mes retrouvailles avec lui sur mon ancien lit de jeune fille, rue Berteaux Dumas. J’enfouis mon nez avec passion dans sa touffe épaisse de cheveux, c’est brun, animal, odorant. Je le serre dans mes bras.
« Oh mon Boune ! Bouni Boune ! »
Quelle année était-ce au juste ? Impossible de me rappeler. Quel âge avait-il ?
« Je veux le quitter ! Je veux partir ! J’en ai assez ! »
Mais où aller ?
Pas un avenir, la rue Berteaux Dumas.
Je raconte la clinique des Pages, la cure de sommeil, j’étais consentante, j’ai dit oui.
Fuir Charybde et Scylla.
« Après ce qui nous est arrivé .»
Je l’avertis : « Je vais pleurer en en parlant… » En effet je pleure. « Qu’est-ce qui vous fait cet effet ? – L’atelier d’ergothérapie, la céramique, les carrelages… c’est le nous, peut-être… une fille brune, mince, effacée, estompée… une humilité, des contours qui se diluent dans l’air ou dans ma myopie… ne craint pas de perdre la face… craque… dit la vérité…le fond des choses est là, dans cette fille aux traits indistincts, dans cette phrase… cette minceur noire et rose. »
Reprenons. « Ça s’est passé comment, cette semaine ? – Bizarre…Volatile… Fuite, soleil, herbe, bain de soleil, pelouse, le Vésinet… prendre la fuite ». Je retrouve le mot que j’ai dit : « Flottante ».
Mardi, avec Claudine L et les Badiou, Georges Dandin, de Molière. Saisie.
« Tu l’as voulu, Georges Dandin : Tu l’as cherché, tu l’as bien cherché… tu l’as eu… »
À cette époque, je n’ai pas entendu :« Tu l’as voulu, Gilles Proy, tu l’as cherché… tu l’as bien cherché… »
Je raconte que j’ai passé mon lundi après-midi au soleil, sur une pelouse du Vésinet. Et je suis en train de parler de la clinique des pages, dans ce même Vésinet.
Après ma préhistoire, ténébreuse et sans date, j’en arrive à la tragique histoire psychiatrique de mon frère. Lui aussi, clinique des Pages.
Jamais je ne me suis avisée que page, c’est aussi le feuillet, la lettre, l’élément de cahier.
« Mon père fabriquait du papier… Dans le couloir, tout un placard rempli de cahiers et de papier à lettres… Ces pages blanches à remplir… »
Je remarque qu’il note quand je lui dis : « Pour moi, la parole, c’est sacré ». Je m’entends commenter : « Je suis pénible, comme les enfants qui disent c’est injuste, ou protestent mais tu avais dit que, tu ne tiens pas parole… »
Surprise de ce mot que je m’entends dire « pénible », sans faire le rapprochement avec ce mot de mon père, ou bien de ma mère, « enfants pénibles ».
De même le mot « glapir » que je m’attribue. Bizarre. Je tique. Drôle de verbe. Je me vois bien vociférer, gueuler, brailler – glapir, non. C’est le mot d’un autre.
Les enfants sont pénibles.
Les enfants glapissent.
Bizarre boîte de résonance que ce petit bureau sur cour. Immeuble 1928, roses sculptées au-dessus du porche. Bureau avec trois chaises. Espace temps réduit. Théâtral, confiné. Comprimé, boudiné, encapsulé. Micro-scène de théâtre étouffante où les vieilles douleurs se condensent et se coagulent en une unité de temps et de lieu artificielle, télescopique et romanesque, scénario qui se dessine en raccourci un peu comme le Christ mort de Mantegna, pieds devant, tête trop grosse et perspective improbable .
Clinique des pages, cure de sommeil, bain de soleil, léthargie, herbe, pelouse, somnolence, ne rien faire, attendre… non, moi je n’ai pas eu d’électrochoc, c’est mon frère.
Plus tard, on l’a retrouvé dans la Seine, à Asnières.
Bizarre comme je m’intéresse depuis un certain temps aux tableaux où l’on voit la Seine, à Asnières.
Van Gogh, 1887. Les ponts d’Asnières.
Seurat, 1883. La Baignade à Asnières.
Je parcours inlassablement le Web, je pêche des reproductions avec mon grand filet, les enregistre, les entrepose sur mon disque dur, galeries virtuelles, vais les voir, les revoir, les classe par date, m’en réjouis, en jouis, les caresse du regard, en caresse mes pupilles, j’ai les yeux rouges depuis un certain temps, les lisse, les peigne, les admire.
Les lumières sur la Seine.
Les cheminées d’usine en arrière-plan.
Les ponts métalliques, les vapeurs.
Les chevaux blancs et noirs.
Les vêtements en boule sur la rive.
Est-ce repêcher mon frère noyé ?
Et puis, quel frère ?
J’en ai perdu trois, de frères.
Pas du tout aimé la sensation de noyade imminente, les deux fois que j’en ai été physiquement menacée.
Clinique des pages, ça voudrait dire ?
Se soigner par l’écriture ? Ou par le cahier d’écolier ?
Pas très soigneuse. Non, pas soigneuse.
Ni besogneuse.
« Je n’ai pas tellement aimé, quand vous m’avez dit de faire le deuil de l’écriture. L’art, c’est une arme. Écrire, peindre, c’est une machine à transformer la folie… ça la remet dans le langage, la civilisation. Le pot commun. »
Guérir par la grammaire.
Je me demande si mon jeune interlocuteur – je lui explique avec condescendance que je suis née au XIXe siècle, car le XXe s n’a vraiment fait son entrée dans les foyers bourgeois qu’en 1960 – s’il a une écoute de type psychanalytique.
Discussion sur les antidépresseurs.
Il m’assure que le seul risque, c’est que ça ne marche pas, et qu’on le sait au bout d’un mois.
Qu’il n’y a pas d’effets secondaires, qu’on a fait beaucoup de progrès.
OK, jeune homme du XXI e siècle, je vais y réfléchir, à tous les progrès qu’on a faits.
Aujourd’hui, ses yeux sont moins flous que ce que je croyais la dernière fois.
26 mars 2009
Tout ce que j’ai réussi à faire cette semaine :
Mardi téléphoner à Didier S pour aller voir ses sculptures à Sartrouville, ce sera le 2 avril vers 16-17 heures. (Ensuite, dîner au Vésinet chez Gilles, il y aura Jacqueline, Livio, Philippe et Francette G).
Téléphoner à Bérénice, qui n’est pas là, conversation avec Jack, il sculpte, je ne sais trop quoi dire, voudrais voir ses sculptures, il n’a pas l’air contre, « ne veux pas t’envahir », « oui mais ça c’est pour les importuns, passe un de ces jours ».
(Un de ces jours : pas mal comme titre.)
Acheter deux livres qui me tentent après avoir écouté nuitamment Alain Veinstein sur France Culture, Le songe du Monomotapa de JB Pontalis, c’est sur l’amitié, et de Pierre Bayard, encore un psychanalyste, Comment parler des livres que l’on n’a pas lus.
Mercredi Béré rappelle, « comment vont tes yeux ? Tu me sembles bien calme… Je t’appelais parce que je pensais à une pièce au théâtre du Rond-Point mais j’ai vu que c’était complet, troupe israélienne, en hébreu », yeux rouges, allergies, cicatrice, opération pas au point à l’époque, crayon à yeux anallergique, tu te sers d’un pinceau ? me parle de mon psy, je ne me rappelle plus très bien ce que je lui ai dit à ce sujet, suis surprise, du coup je raconte, lâche « je suis un peu déprimée tu l’auras compris », me mords les lèvres, c’était peut-être pas à dire, n’avoue jamais, elle a été « avec une amie » écouter la Passion selon saint Jean au théâtre des Champs Élysées, brouillard de paroles à propos du texte contre les juifs déicides, « Catherine a trouvé le texte très beau », c’était donc Catherine B, la chouchoute du moment, celle avec qui on sort, qu’on a envie de voir, grrr, je lui parle des deux livres achetés, compte rendu pour Critique parisienne, « histoire de participer un peu », elle, Alice lui demande de rendre compte de l’exposition orthodoxe du Petit Palais, j’ai mal entendu, tu as dit quoi ? Exposition orthodoxe, j’en ai la chique un peu coupée, les orthodoxes, les icônes, c’est moi, non ? Pourquoi cette impression qu’on me jette par-dessus bord ? Qu’on s’installe à ma place ? Bien fait pour moi, j’ai qu’à la tenir, ma place, « Ils ont un fond très important d’icônes au Petit Palais, donation d’un Grec ou d’un Russe, je ne savais pas qu’il y allait y avoir une exposition à ce sujet, je ne sais même pas quand est la date de Pâques orthodoxe cette année… ». « Comment parler des livres que l’on n’a pas lus, pas mal pour faire un compte rendu de livre ! », quel besoin a-t-elle de me dire « je n’aime pas ce titre », quelle est au juste la sous-conversation ? « D’accord ça fait bas de gamme mais ce que l’auteur en disait à la radio n’est pas bas de gamme du tout, bon il faut que je m’en aille, je vais à Levallois, plus d’une heure de trajet, déjeuner chez Réùy, son bureau, oui oui, je t’embrasse. »
Le 21 s’arrête au Palais Royal, encore une manifestation, tout ce temps en trajets, le métro aérien, St Lazare en travaux, Clichy-Levallois petite gare, où est la rue Raspail ? Rémy et sa coupe de cheveux habituelle, chinois libre service, pas de couteau, du vin rouge, j’y oublie mon sac en plastique avec Notre Temps, « Pour la gym je suis en avance, comment est le bord de Seine ? Une autoroute ? – Non, un jardin. » Je marche vers la Seine, la Seine à Levallois, école Saint-Exupéry, centre le Petit Prince, immeubles de verre et d’alu, patibulaires, monstrueux de froideur, là-haut une sculpture d’acier juchée sur son piquet, un guetteur ? Feu rouge, vent froid, temps gris, belles découpes à gauche des tours de la Défense, un bout de la grande Arche, beau ciel chargé, ponts à gogo à droite, péniches qui passent, celle-ci à vide, falaise flottante, bringuebalante, transporteuse de déchets, Vivendi en grosses lettres, ou bien Valéo ? celle-là enfoncée jusqu’au plat bord, moustachée de vaguelettes, loutre ou silure, encolure engoncée dans le fleuve, c’est quoi de l’autre côté ? Asnières ? Et si j’allais à pied jusqu’au pont de Neuilly ? ça passe ? Dans le square battu de vents, deux dames grises aux petits chiens tristes, se flairent, se roulent dans l’herbe. Retour à la gare pour la gym.
La prochaine fois, emporter un grand carnet de croquis.
(La prochaine fois la prochaine fois…. Y a-t-il jamais de prochaine fois ?)
Jeudi j’appelle Joachim, l’invite à voir samedi le salon du dessin contemporain, rendez-vous 14 heures. Réponds par mail à la carte postale de Philippe M, de Tel Aviv, dans la foulée téléphone à Jacqueline, ça tombe bien, Laurent a eu hier une fille, Chloé. Mail à Laurent, me répond aussitôt. Perds mon temps et m’embrouille les crayons à faire deux albums de mes dessins sur Facebook, je ne comprends pas trop comment ça marche. Je mange deux saucisses, mauvaises, vaisselle pas faite, me remets à fumer, ne sors pas mais écris sur l’entretien de samedi avec le psy et la clinique des Pages.
(Clinique des pages : beau titre)