BERCEUSE (1977)

La grand-mère a chanté sa berceuse au petit
nourrisson qui s’étrangle, et dont l’iris gris-bleu
ne distingue qu’un trouble. Il entend cependant
les précises lueurs d’une grammaire ovale
lui pénétrer le cœur.
 
La langue avec son corps joue à la mandoline.
Il digère les sons dans l’émulsion du lait
et des philologies, que la grand-mère agite
en son petit berceau de terre à feu poreuse.
 
Il est tout mijoté. Il cuit dans le langage.
Dans le four des grands morts il va se vitrifier
et devenir cristal, obsidienne ou faïence.
 
Avec ses mots limpides, avec ses sons joyeux,
sous son architecture, la langue reste obscure.
Laisse-toi caresser mon petit étranger
par la douce dérive des mots ces grondements.
Écoute à travers vie le fleuve bruissement.
 
Écoute la chanson. La nuit est une promenade
sur la barque des mots. Ne cherche pas le sens.
Laisse-toi frictionner par la vague.
 
Pour l’instant, c’est le soir. Laisse les pierres de tes yeux
fondre au fond de la tasse avec le comprimé.
Bois ta fleur d’oranger. Le feulement des phrases
est l’amour transbordé d’un parent trois fois mort
qui traverse le fleuve et la nuit pour te voir.
 
Ou t’entendre.
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