1985 MORT DE PAPA

JUILLET 1985

Je prends le train, je vais voir papa à la clinique de « convalescence » de Boissise-le-Roi où il stagne. Il n’arrive pas à remarcher. Il a peur. Avec son Parkinson, ses gestes ne se coordonnent plus.
« Je suis obligé de penser à chaque pas que je fais… rien ne se fait par automatisme. »
J’en ai le cœur serré. Impression aussi qu’ici, il n’intéresse personne.
Il me félicite sur ma tenue.
« Tu as une jolie robe… une très jolie robe. »
Je n’en reviens pas.
« Je n’ai jamais vu une famille aussi dispersée… Toi et tes frères, vous ne vous voyez jamais… »
Je balbutie : « Si, si, je vois Jean-Pierre… un peu.
– Je n’arrive pas à comprendre pourquoi vous êtes si dispersés… dans les autres familles on ne voit pas ça.
C’est vrai, dans les autres familles ce n’est pas comme ça.
–  Comment expliques-tu ça ?
–  Je ne sais pas. Je crois que c’est à cause de maman. »
Je quitte la clinique. Il me dit :
« Je suis très touché que tu sois venue me voir. Même si je ne le montre pas, j’y suis sensible. »

BATUCADA, 10 JUILLET 1985
Mon cher Noël,
Me voici arrivée au paradis Batucada par le soleil, un peu venté.
Le voyage s’est passé très bien, les de Rohden ont amené madame Picot à la place voisine de la mienne ; elle n’a pas bougé, elle m’a seulement demandé au moins vingt fois si nous arriverions bien à Arcachon et si Jean serait à la gare.
Après six heures de train dans de confortables fauteuils du train corail, Jean nous a amenées, moi d’abord, a monté ma valise jusqu’à la salle de séjour.
J’ai trouvé la maison nettoyée, prête, avec des fleurs dans la salle de séjour. Martine était passée par là.
Le jardinier en a fait plus que je n’avais demandé ; il a même garni les pots de géraniums. Je voudrais tant que tu sois là pour en profiter. Les Berge et madame Vergnes sont là, je ne suis pas isolée.
J’ai téléphoné à Aubry qui va m’apporter une télé demain.
J’espère que de ton côté tout va aussi bien que possible et que tu ne t’ennuies pas trop. Essaie de m’écrire un petit mot, tu le donneras à Dominique-Marie qui le postera.
Je t’embrasse tendrement G.

Pense à mettre ton appareil auditif et fais des efforts pour la kiné.
Bons calissons !
Zinzin est le plus heureux des chats.

Dimanche soir : le week-end chez Annet et Martine, 20-21 juillet 1985
« Alors, ce week-end chez Annet et Martine ? demande Clara. Ça s’est bien passé ?
– Oui, très sympa. On a fait plein de confitures. Regarde !
– Qu’est-ce qu’il a, François ? Il a rétréci ? Il n’a plus d’épaules.
– Il n’a jamais été très grand, dis-je. C’est un homme petit.
– Alors, raconte, qu’est-ce que vous avez fait ?
– Ce matin, j’ai mis un quart d’heure à me relever de mon lit, j’ai cru que je n’y arriverai pas tellement j’avais mal. Il y a une position qu’il faut que j’évite à tout prix. C’est d’ailleurs bizarre, à peine sortie de leur maison, à peine franchie la porte, sur le trottoir,je me sentais tout de suite mieux… Et ce pauvre François qui voulait partir à quatre heures, et puis Annet juste qui lui propose un ping-pong, il dit oui oui, et puis Martine qui ricane dans la cuisine : » C’est bizarre, François, il ne dit jamais non ? Tout ce que lui propose Annet il dit oui. »
Impossible de partir, ils ne nous laissaient pas partir, interminable le partage des pots de confiture, Annet qui faisait tout un cirque, « Tu en as plus que moi,tu en as trop », je croyais qu’il plaisantait mais pas du tout. Au bout d’un moment j’en ai eu marre, je suis sortie de la cuisine d’un air excédé, il a compris.
« Eh bien ! Tu vois bien ! François était tout recroquevillé le cou dans les épaules, il n’y en avait plus.
– Mais c’est vrai… Et puis aussi quand on est arrivés… pas vraiment le comité d’accueil, la porte qui ne s’ouvrait pas, des têtes au premier étage contre la vitre, le rideau qui bouge, des conciliabules, et puis on entre, Martine en pleurs, « Faut surtout pas que je parle sinon », Annet qui nous fait visiter le jardin, elle a des ennuis de boulot, des collègues qui ne supportent pas sa promotion, depuis qu’elle est chef ils lui disent : « Tu peux pas répéter ce que tu viens de dire je n’ai pas bien compris »… On tombait comme des cheveux sur la soupe. Et moi qui l’entoure de mes bras : « Pauvre petit chef, c’est dur, hein, le pouvoir ? »
– Eh bien il a été gai, votre week-end !, dit Clara.
– Mais non, en fait c’est bizarre tout a été très bien, très agréable après, au dîner Martine rigolait, plaisantait, comme si de rien n’était… On a eu peur, c’est tout.
– C’est pas l’impression qu’on a quand on voit vos têtes… Si tu pouvais e voir !
– En fait tu as raison, c’est bizarre, tout a été très sympa mais je ne sais pas ce que inconsciemment ils nous ont fait… c’est comme si on avait été roués de coups…
Et puis François qui a téléphoné tout l’après-midi à sa nana, parce que Martine ne voulait pas la voir mais elle ne voulait pas le lui dire en face, alors elle l’a chargé du message…
– Je te disais bien que François était tout recroquevillé sur lui, le cou dans les épaules…!»

23 JUILLET 1985
Vais-je renouer avec le journal ? Moi qui ne m’occupe jamais de moi ? qui ne vais pas voir le dentiste ? ne vais pas chez le médecin ? dont le psychanalyste est mort ? qui fume et ingère toutes les vapeurs de la ville et de sa peur ? qui accueille la vieillesse et son goût fasciné d’inceste avec une délectation pourrissante ? qui, le sacrum brisé ou peut-être fêlé, hésite encore à consulter ? Vais-je renouer avec les correspondances effrénées de mes quinze-seize ans ?
J’ai bien remarqué que je ne reçois plus dans ma boîte que des prospectus ou factures. Plus d’enveloppes manuscrites. Plus le cher gazouillis de l’écriture amie qui dit « c’est toi, et nulle autre pareille ». Non, rien que des étiquettes de mailing avec numéro de code, banque, Croix-Rouge, et l’EDF et l’UAP et Terre des Hommes et la Comtesse du Barry, rien, rien que le désert de la série, la réclame pour le Point « Chère madame trucMuche », piège, attrape-nigaud, rigolons.
Mais j’exagère.
Ce matin, une lettre très belle de Rémy.
Hier soir, de Jacky.

LE 20 JUILLET 1985
Mahamaté MATHIAS
Et Racla DROPSY
84 route de Croissy
78110 Le Vézinet

Chair famille
Istres 20 juillet
Maison Musique
Grillons Pétanque
P(a)ins Petits déjeuners
Rien. Soleil.
Wapiti Kiwi Watt Whist twist … scrabble.

Ici c’est très laid : Istres. Étang de Berre. Fos. Delta du Rhône, tout plat, tout désert, industriel.
L’eau de mer est marron, l’eau de Berre est à 26 degrés. Fade. J’ai même eu les mains propres, à force de me baigner. Mais aujourd’hui non, révision de la fidèle moto, très gentille qui ne bronche pas.
Bizarre juillet, anti-touristique. Les Landes, superbes sous la pluie ! Hendaye, bourgeoise molle sous les nuages, Irun, ville sous-développée d’Espagne, dans un appartement, avec la mère espagnole-type, fière.
La grippe, la fièvre : l’Espagne. Les fêtes de Pampelune ensuite, au milieu du plateau espagnol, désertique. Mieux qu’Avignon… Mais durs les contacts…
Les Pyrénées : très beau… Montpellier, la Grande Motte : tourisme de masse, atroce, comme des camps. Montpellier chez la grand-mère de Patrice : appartement dans une zone… juillet… Bref passage magique dans les Cévennes chez François : génial… Ils sont aussi sympa qu’à Besançon… c’est beau les Cévennes. Et avec Patrice on s’entendait bien : même sens des économies, même goût pour les nymphes…
Laurent est super aussi. S’habituer à son univers bourgeois pour voir de la vie en lui.
Je ne pense plus. Les moustiques attaquent. Je vais aller en Camargue, sur les routes fermées… mais eux englués avec la voiture, pas pour eux les sentiers déserts et beaux. Je dors dehors… c’est bon.
Vie morte en France : ou Rien, ou tourisme massif bovin pigeon. Merci ! Où elle est la fête dans la cité, où ils sont les gens cool, mais beaux ? À Avignon peut-être ? On va aller voir. A Martigues (10 km d’Istres) il y a un festival, tout petit, très gratuit, très sympa, ça y en a bon.
Il me reste encore un peu de nervosité amère dans les veines mais, lentement, je m’applique… à ne plus penser, à ne sentir que…
Les bonnes choses RÖTJE bisoux

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RENNES, LE 18 JUILLET 1985
Dominique-Marie,
Le renard est malade. Vous lui aviez fait croire un instant qu’il y avait un gué, il l’a cru, ne pouvait que le croire tant il voulait y croire.
Mais aujourd’hui il sait que, si ce gué est apparu, car sans doute est-il apparu, ce n’était dû qu’aux conditions particulièrement clémentes.
Il est aujourd’hui encore condamné à creuser, et à s’égarer, sans doute car qui saurait le conduire dans cette pénombre ?
En clair je tente chaque jour d’écrire, et ce n’est qu’un infâme bourbier. Il n’y a pas d’espoir. Tu ne m’as pas envoyé ton livre. Envoie-moi au moins les références.
Bye. Jacky.

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LE 23 JUILLET 1985

Quelle joie de recevoir sa lettre !
Je réponds à Jacky.

Salut, infâme bourbier. Comme les autres, tu dois bien y passer : le mouillé, le méandre et le sale. Pas de fécondité sans ce marais. Qu’est-ce que tu croyais ? D’ailleurs, nous ne t’avions jamais fait croire qu’il y avait un gué, c’est toi qui nous as fait croire à l’eau profonde. Non, pas l’eau profonde, un couteau. Si l’eau profonde aussi. Un couteau et de l’eau, qu’est-ce que ça peut faire ensemble ? Tiens ! – Si, justement, l’arme d’un crime. – Arrête de jeter le couteau dans le puits ! – Si, jette ! Maintenant, va le repêcher, dis-nous ce que tu auras vu en plongeant. Je n’ai vu que du noir, du froid, du gluant. Et nous ? Qu’est-ce que tu crois ? Que nous ne sommes pas dans le noir, le glacé, le puant ? Mais non. Il y a aussi autre chose. Il faut descendre. – Je suis bien bas. – Écris de ça. Ne cherche plus le gué. Sombre un bon coup. Écris tes pénombres. – Mais à qui ? – Il te faut donc une maîtresse d’école ? Je croyais que tu aimais l’école buissonnière ! – Je tente chaque jour d’écrire. – Alors, ne tente pas Dieu mais le diable. – Des mots ! – Révoque tout espoir, cheval fou, va là où ça s’enfonce, c’est là que l’on t’attend.
… J’arrête le jeu car il vire au sermon. En clair – et si je songe à mon cas – je crois que tu as surtout besoin d’un interlocuteur ou d’un destinataire, mi-réel mi-fictif, pour ne pas sombrer dans la destruction. Je pourrais faire temporairement l’affaire. Envoie-moi la photocopie de tes textes bourbeux (dactylographiés si possible) et je tâcherai de te donner un avis d’éditeur – de ça, je suis à peu près capable.
Et de toutes façons tu sais très bien que j’ai envie de te lire.
Salut renard Salut Jacky
DM
PS. Je t’envoie mon bouquin mais il faudra me le renvoyer car j’ai peu d’exemplaires. Ton avis sera le bienvenu surtout s’il est sincère.

Autrefois, j’écrivais mon journal, maintenant je l’achète.
Sur la terrasse du minable café-tabac de l’Ile-aux-Dames, un rouquin, tête dans les mains, penche son front dégarni sur les pages du Figaro.
Souvenir de mon premier journal : moi, petite, à califourchon sur les genoux de mon père, et entre son visage et le mien, un journal déployé : sûrement le Figaro. J’envoie des pichenettes dans la double page qui fait écran entre lui et moi, je ris aux éclats. Petit jeu avec mon père. J’essaie de l’empêcher de lire, qu’il s’intéresse plutôt à moi (à me lire ??). Parfois, il laisse tomber son journal et joue avec moi à « à cheval gendarme ». Nous rions comme des fous.
Autres réminiscences.
Moi, prof de yoga à Télérama et Bayard-presse : « J’aimerais bien être journaliste ».
Moi, quarante-cinq ans, vieillissante, à la clinique où papa se repose de quatre-vingts ans de fatras ou tracas stériles. « Tu peux emporter le journal, si tu veux. Moi, je ne le lis pas. »
Au Vésinet, des gens bien léchés m’environnent. Je vais prendre la café chez ma voisine. Elle veut que je fasse enlever l’ampélopsis qui grimpe de mon mur sur son toit. Me fait admirer sa terrasse de marbre. Son enfant. Ses peintures fraîches. Elle aussi, elle est en chantier.
En attendant, j’ai trop mal au dos.

MERCREDI 25 JUILLET 1985.
La course aujourd’hui, et j’ai si mal aux reins. Crise d’arthrose ? À trois heures moins le quart, je file de mon bureau avenue Reille. Neuilly maintenant, le boulevard d’Inkermann et mon père. Son regard doux, pastel, son teint frais. Ses lubies.
« J’ai l’impression que Maria en pince pour moi. Elle n’arrête pas de me tourner autour, de m’offrir des petits gâteaux. »
Maria est l’ancienne femme de ménage de maman. Je ris.
« Il ne faut pas rire d’un amour, même ancillaire. Je ne vais tout de même pas coucher avec elle, sous le toit de ma femme ! Je crois que nous allons être obligés de nous séparer d’elle. »
Il me reproche maintenant d’avoir mis le tiroir de la table de nuit en désordre. « Je ne t’attendais pas aujourd’hui. Maria sort d’ici. J’ai vu madame Péri hier. Téléphone à Bernard qu’il ne vienne pas ce soir car je pars en promenade avec des gens de la clinique qui vont venir me prendre à 4 heures… Il est déjà quatre heures et quart. Tiens, ils ne sont pas là. Tu peux partir, maintenant. Tu as une très jolie robe. »
Je m’épanouis.
« Oui, elle est vraiment très jolie… »
« Allez, au-revoir, papa, je dois partir. »
Le soir, au Vésinet, André, l’artiste-peintre ami de Gilles qui fait le peintre en bâtiment avec un certain Claus pour gagner sa croûte. Ils exécutent des tableaux à trois, André, sa femme et Claus : chacun son coup de pinceau à tour de rôle, si j’ai bien compris. Trio pictural. En attendant, ils refont la chambre de Boris, qui en avait un besoin pressant : écaillée, pisseuse, délabrée.
André contemple la robe à grosses manches bouffantes que j’ai mise.
« Ce bleu ! je n’ai jamais vu un bleu pareil dans un vêtement ! D’où est-ce que ça vient ?
–  Des Trois Suisses.
–  Hmmmhhmblblblll… »
Un bras en l’air et l’autre arrondi vers le bas, je me déhanche. Je souris.
« Vous voulez que je prenne la pose ? »
Plus tard, le même André, dans la cuisine :
« Allons il faut que j’aille travailler. Sinon, je discuterais bien toute l’après-midi. »
Claus, son compère, ses yeux verts, sa chemise vert d’eau, son pantalon vert amande, ses cheveux blancs, son silence.
« Vous devriez aller voir la pièce de Marguerite Duras, Yes peut-être. Ma fille joue dedans.
–  Un café-théâtre ?
–  Non, un petit théâtre de vingt-cinq places, avec des gradins. Elle a eu une bonne critique dans le Figaro.
–  Le Figaro de quel jour ? Dites-moi, je le lirai chez mes parents, ils le reçoivent.
–  Oui, c’est bien le journal de cette génération. »
Dans la chambre de Boris, ils ont salopé les boiseries et fait un jaune brouillé alimentaire. Ils n’aiment pas mon idée de couleurs vives pétantes.
« Je croyais que vous aimiez Matisse ? »
Je file me faire faire une radio de la charnière lombo-sacrée. Sacrées lombaires ! Médecin lilliputien qui n’arrête pas de dire dans la pénombre : « Je vais encore vous torturer ».
Pas contente de la vue de mon corps dans le miroir. Dieu ! Il est temps que je m’occupe de lui.
Clara rentre tard. « Regarde ce que j’ai acheté. »
Le jardin fraîchit. Coline téléphone : « Je devais venir dîner mais je ne peux pas, je vitrifie mon parquet. »
Elle, je l’avais oubliée. J’appelle Monique : « Viens dîner. »
Clara va la chercher en voiture. Monique arrive en s’esclaffant : « J’ai vraiment des emmerdes ! Trois mois de loyer impayé, le propriétaire est en train de faire hypothéquer la maison de mon père…
–  Quoi ?
–  Oui, évidemment, puisque c’est lui le garant.
–  Il ne peut pas payer le loyer ?
–  Il n’a pas un rond, mon père.
–  Tu pars en vacances ?
–  Non, mon père m’a interdit de partir tant que je n’ai pas trouvé une solution. »
Dans la cuisine, elle hume avec mépris la laque posée par le duo André-Claus.
« Mmmm… pas impeccable… enfin, pour une cuisine, pas grave. Oh, et puis regarde ça, moi eh bien j’aurais rebouché » avant de laquer ! Enfin, ce n’est qu’une cuisine… Plus jamais je ne ferai de cuisine.
–  Tu as des chantiers en ce moment ?
–  Non, j’en cherche.
–  Écoute… je vais faire faire une seconde tranche… ma chambre… Tu pourrais ?
–  Ouais pourquoi pas d’accord tu me montres ? »
Dans ma chambre, elle s’esclaffe :
« Craignos, le papier à fleurs !
–  Tu peux le dire, dit Clara.
–  On change de chambre, dis-je. Ce sera la chambre de Clara. Elle veut du blanc.
–  Qu’est-ce qu’il y a dessous ?
–  Sais pas. Peut-être de l’isorel. Ce n’est pas une chambre comme les autres.
–  Tu as vu la paroi ? l’épaisseur ? Tu n’as pas peur ?
–  Non ! Qu’est-ce qu’il y a ?
Si mince ! »
Clara arrache d’autorité un lambeau de papier.
Dessous, c’est blanc, grenu.
« Comme ça maintenant on est obligé de la refaire.
–  OK, dit Monique, ça m’arrange.
–  Et l’escalier et la chambre actuelle de Clara ?
–  Je verrai avec Philippe.
–  Ton frère ? dit Clara.
–  Oui, rit Monique. Comme ça tu le verras. Qu’est-ce que tu fais pendant les vacances ?
–  Pour l’instant rien, dit Clara. Absolument rien.
–  On est bien dans ton jardin, dit Monique. Quelle fraîcheur !… Et là, sous les fleurs exubérantes, c’est une tombe ?
–  Non, c’est la trace du feu. L’endroit où l’on faisait le feu avant le méchoui.
–  Feu le feu ! On dirait qu’un corps est dessous ».
La nuit tombe, elle a les yeux brillants.
–  Heureusement que Coline n’est pas venue, dis-je. Comme ça Monique est venue et on a fait affaire. Je suis vraiment contente. »
Être malade j’aime bien. Cela me rend vivante.
Être en chantier j’aime bien. Tout chambouler, tout blanchir, et tout reconstruire.

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Jacky. J’ai gardé son texte de l’atelier d’écriture. Reprendre ses mots. Les lui voler.
« Obéir – maître – serré – clé – voir – silence – il ne faut pas – cheval – jouir – mort – peur – désespoir – miner – tarauder – croûte – glauque – miche – plaît – fantoche – éphémère – expansion – ouragan – là – je suis là où l’on ne m’attend pas »
Pas si terrible que ça en somme !

« QUAND
Toutes les femelles rongées du monde
toutes les femmes moisies du mariage
auront cassé les nuits criardes,
l’avant-bras étreindra
son désespoir bleuté
dans la poubelle des retrouvailles.
Les amants sinusoïdaux
Et les chambres des précipices
L’armoire intemporelle
Les entonnoirs migrateurs »

Les mots ! quel délice !

JEUDI.
Chaleur suffocante sur Paris. À l’angle de la rue Delambre et du boulevard Montparnasse, un café. Moi assise en terrasse, qui remarque un passage de vieilles dames clopinantes aux jambes distendues d’œdème et l’échine courbée. La chaleur gonfle leurs pieds dans leurs savates.
Au 1 de la rue Delambre je sonne sur le bouton marqué « Cours d’anti-gymnastique. Sonnez et entrez ». Dans l’entrée, une méridienne en osier, une femme assise. J’aperçois par un interstice entre deux stores blancs le profil de Bérénice. Nez et menton levés, elle semble regarder vers le haut, tourne la tête, sourit, mais je n’aperçois rien au bout de son regard.
Elle sort de là en tenant un baigneur en pâte à modeler.
« On a modelé un personnage les yeux fermés. »
Derrière elle, une femme à chignon, démodée et altière, des jeunes femmes rieuses en collants. Une ambiance de collège.
« Je t’admire d’avoir osé le décapiter », dit Bérénice à une des femmes. « Moi, je n’aurais pas osé. »
Je prends rendez-vous avec l’ostéopathe au profil d’oiseau frisé qui téléphone. Lundi.
J’ai mal. Il fait torride. Bérénice m’offre le taxi aux frais de la boîte de Mark.
« Comme Sybil à qui il faut toujours tout, dit-elle. Tout leur est dû.
–  Ma pauvre, tu veux dire qu’à nous rien n’est dû ? »

Chez elle après les quatre étages. La porte s’ouvre.
Loin devant, la vision d’une fenêtre, d’un salon.
Vêtu de blanc, Mark tout là-bas, au bout au bout de ce sentier de grès.
On visite.
On dirait qu’il n’y a qu’une moitié d’espace, sans doute à cause de la pente du plafond qui dévale vers la droite.
« C’est superbe, chez toi. »
Mark ricane.
« Mais oui mais oui. »
Antoinette sur le canapé, pantalon rose, même marinière rose et blanche que celle que j’ai chipée à Clara ce matin. Sa voix charnue, mélodieuse, haute.
« Tu n’avais pas les cheveux courts, la dernière fois ? demande Mark.
Non, cela fait huit jours. »
Mark aime voir les femmes saoules. Nous gorge de gin-fizz. Arrivée d’une certaine Alix, minuscule brune qui ne cesse de peigner en riant sa tignasse vers l’arrière avec ses doigts. Elle se juche sur le fauteuil Louis XIII comme une sorte d’oiseau.
« Un oiseau m’appelle un oiseau m’accompagne ».

28 JUILLET 1985 (SUITE DE MON JOURNAL PEU INTIME)

Cher Frédéric,
« Quand tous les cris incohérents
auront vidé les joies de la douceur changeante,
alors, toutes les pâmoisons chatouilleront
la corolle de cette énergumène dans son mauvais vouloir. »
Ça y est : on m’a coupé les cheveux.
C’est Antoinette qui l’a fait. L’Antoinette de Frédéric, pas le Frédéric que tu sais mais cet autre qui m’a donné la statue nègre. Si tu savais comme je suis contente et comme il est plaisant le poids de mes cheveux en liberté sur ma tête ! Fini l’élastique, les filaments exsangues, les effilochures. Une bouille atomique à la place de mon masque de clown triste.
Comme il s’en faut de peu ! Et pourquoi Antoinette ?
Elle, toute rose, vraie framboise, et une voix de bonbon à sucer. Malgré cela, un veston blanc d’homme et pratiquement un mètre quatre-vingts. Très droite.
L’année commence avec le Frédéric d’Antoinette et son étrange cadeau nocturne de statue nègre, et se boucle avec Antoinette et sa paire de ciseaux.
Entre eux deux, un an de séparation.
J’ai invité Antoinette à déjeuner, avec Cléa. Nous parlons de son Frédéric.
« Lui ! s’exclame Cléa. Mais tu en fais ce que tu en veux ! C’est à toi de jouer ma belle.
 – Je veux qu’il change, murmure Antoinette.
 – Alors là non. Non. Personne ne change.
 – Je ne supporte pas le soir de rentrer du boulot et de n’avoir personne à qui parler, dit Antoinette.
 – Comme tu es vivante ! si fraîche ! Tu es la vie-même, dit Cléa qui vire au verdâtre en tirant sur sa cigarette. Quinte de toux.
 – C’est parce que tu as commencé à t’arrêter, dit Antoinette. Ça remonte.
 – Quoi, remonte ? »
Comme le soir tombe les yeux d’Antoinette se relâchent, ses paupières doucement se déplissent vers le bas comme quatre pétales près de choir.
« Si j’ai un conseil à te donner, dis-je, tu m’as dit que tu voyais Frédéric dimanche, tu ferais mieux de l’informer simplement, lui dire que tu le regrettes. Comment veux-tu qu’il le sache si tu ne le dis pas ?
La nuit tombe. Antoinette repart pour Bougival.
*
Chez Bérénice et Mark. Ils pendent la crémaillère.
« Je vais vous faire la lecture, dis-je. Ça ne vous ennuie pas ?
–  Non non, disent-ils.
La conversation repart de plus belle.
« Moi je suis scandalisée, dit Bérénice, que tu aies fait un stage d’écriture. Mais tu as l’air si contente. »
Mark nous saoule au vin blanc. Ils parlent entre eux de gens que je ne connais pas. « Et toi, qu’est-ce que tu fais ? – Je m’occupe de drogués. – Et toi, Antoinette ? – Je suis responsable de la communication interne dans une banque. C’est un boulot qui me passionne. » Bérénice éclate de rires hystériques. « Moi, je suis en vacances pour trois mois ! demain je ne me lève pas ». Je la regarde curieusement. « Moi non plus. Aujourd’hui, c’était mon dernier jour. –Amen », pouffe Bérénice.
« Alors, et ce texte, tu nous le lit ? dit Antoinette.
Je rougis. « Allons, courage… » Ma voix tremble. Je bute sur les mots, ou plutôt sur les sentiments. « Vous savez je lis mal… Mais je voulais savoir… Ce texte nous avait fait à tous une telle impression ? »
J’ânonne. A mi-lecture, ma voix se pose enfin.
« Il est gentil ce texte, dit Bérénice. Intéressant.
–  C’est un homme ou une femme ?
–  Un homme.
–  Moi, ce qui m’a touchée, dit Antoinette, c’est lorsque…
 … « Je fais bien, toujours bien, très bien… »
–  Et quand il dit surtout qu’il n’aura jamais à pleurer, on ne lui demandera jamais… Ça m’a rappelé après mon divorce, je me suis mise à pleurer, et mes parents ont dit : Qu’est-ce que nous allons devenir si toi tu te mets à pleurer ? »

Chez Mark et Bérénice, c’est beau, très beau, incontestablement beau. Mais il manque une moitié d’espace.
« Où est l’autre côté ? dis-je
–  Quel autre côté ? demandent-ils.
–  Où est ton atelier Bérénice ?
– ­Il n’y a pas mon atelier, dit Bérénice. Sauf là-bas, dans le rabicoin.
–  Où est la salle de bains ?
–  Tout là-haut, dans le grenier à claire-voie.
–  Et la machine à laver ?
– Dans la soupente.
–  Il aime les femmes, cet architecte !
–  C’est mon frère. »
Elle me prête Origine, de Thomas Bernhardt.
« Tu rentres au Vésinet comment ? me demande Antoinette.
–  Dans ta voiture.
–  Non moi je prends le train, ma voiture est garée à Vaucresson.
–  Zut alors, Bérénice m’avait dit… »

Minuit. Nous voici toutes deux à Saint-Lazare. À Saint-Cloud on descend, on s’assied sur le banc qui domine la ville.
« Tu vois, je travaille là en bas, à LMT. Comme c’est drôle, la banlieue ! On y voit toujours tout sous un nouvel angle avec une personne différente, ce ne sont que filets et réseaux. Ma vie est une fourmi, mais moi ? Comment peut-on se confondre avec sa propre vie ? »
Seule la nuit, Antoinette n’est pas trop rassurée. « Le voilà ! Le wagon non-fumeurs, je préfère »
La Défense… Saint-Cloud… Vaucresson… Dans toutes ces gares une perle de ma vie s’accroche. Et maintenant, sa voiture. Le Vésinet, où elle me raccompagne.
« Merci Antoinette. Je suis contente de t’avoir revue. A demain. »
*
Un jour tant d’activités et de rires, et le lendemain c’est le marasme, on gît, on se tient la tête, et l’arthrose cogne à la charnière. C’est ainsi. Pourtant, je suis contente de vieillir. Pas de vieillir, mais que le temps ne me laisse pas intacte. Tant de gens sont vierges du temps. Moi, j’ai un drôle de rapport au temps ! Quand pourrai-je avec confiance me blottir dans ses bras, au Temps ?
Ce qui m’intéresse, ce ne sont pas les gens pour eux-mêmes, mais ce qui d’eux et de moi peut advenir. Le renard m’a écrit : « Je tente chaque jour d’écrire, et ce n’est qu’un infâme bourbier. » J’ai fait la maîtresse d’école. « Tu as surtout besoin d’un interlocuteur pour ne pas sombrer dans la destruction. » Pas projectif pour un sou.
Le renard… J’ai tout oublié de lui : son front mangé de cheveux, ses yeux pers, sa démarche. Mais dans sa lettre subsiste un rythme qui ressuscite en moi son « je ne sais pas, j’ai trop de mots pour le dire, ça ne doit pas être ça ».
Je me souviens de quelque chose, voilà tout. Quelqu’un.
Je me souviens d’une voix.
J’aime bien t’écrire parce que tu ne me réponds jamais. Tu téléphones, parfois tu viens. C’est autre chose. Parfois tu ne téléphones pas, tu ne viens pas. C’est encore autre chose. Dans le jardin, une rose rose. Au bas de ma colonne, de l’arthrose. Cette nuit, un rêve. Un immense immeuble fait de palettes empilées irrégulièrement s’ébroue, se secoue. Il va tomber. Je suis dans un café à ses pieds. Tomber sur moi ? Vite, courir vers la gauche, à toutes jambes, ça y est il va choir. Tout noir. Très lentement, comme une pile de livres. Au ralenti. Il n’en finit pas de tomber et j’arrive à des escaliers qui descendent vers un contrebas, un faubourg. Sauvée !
Je me réveille en entendant la pluie battante.
Si l’on empilait tous les cahiers que j’ai déjà écrits, cela ne ferait-il pas une vraie tour de Babel ? Mais qui écrit et qui est écrite ? Bizarre, comme je perds mes stylos. Autrefois mon père prétendait qu’on fabriquait dans ses usines par an (ou bien par semaine ? ou par jour ??) assez de kilomètres de papier pour relier la Terre à la Lune. Quel hâbleur, celui-là !
Aujourd’hui, assis comme un vieux roi dans le fauteuil de sa clinique, il attend des visites. Clara est avec moi. « Tu as amené une camarade ? »   Mais non, c’est Clara. – Ah oui, bien sûr… » Il dit : « J’espère que je serai long à me remettre. » Il se repose de sa vie.
Guérir ? Il ne sait plus ce que ça peut vouloir dire.
*
Je déménage en ce moment livres et vêtements. Est-ce moi, ce trop ? Cette accumulation ? J’entame la seconde tranche de travaux de peinture et de rénovation dans la vieille maison : chambre de Clara, entrée, escalier, ma chambre. Ah, si l’on pouvait se débarrasser de presque tout ! Ah, si l’on pouvait y être presque ! Mais non. Mais si. J’y suis presque, et ce presque vaut mieux qu’un trop.
« Oui, ces familles-là, il y avait un trop. – Toi aussi ? – Moi aussi. »
*
Il se repose de tout ce trop qui veut dire « pas de temps ». Plus rien, qu’une chambre nue. Même les fleurs, il ne les supporte pas. Dans chaque bouquet de fleurs il voit un intrus qui le regarde.
« Qui est-ce, cette personne derrière toi ?
–  Mais il n’y a personne.
–  Si, si, avec un visage grimé.
–  Ce sont les fleurs, seulement les fleurs. »
Je mets le pot sur le balcon, où il grillera au soleil. Et lorsque, trois jours plus tard, je les arrose : « Tu es sûre que ce sont bien des fleurs à nous ? »
Oh, surtout, pas de fleurs !
*
Ce matin, coup de blues. Tempête d’imprécations sous mon crâne, reproches, quelqu’un en moi qui n’est jamais content, quelqu’un d’autre qui en a marre. Diatribe perpétuelle, leurs deux voix se télescopent. Arrête de fuir ! Il y a ta douleur ! Il y a que tu te sens mal ! N’est-ce pas, que tu te sens mal ?! Avoue, avoue !! Arrête de rire, de t’évanouir ! Du plus loin que tu te souviens tu as mal. Tu ne sais pas à quel endroit. À tel point que la maladie te réjouit car là au moins tu sais.
Tu as rangé toute l’après-midi toutes ces choses. Le matin les promesses du jour étaient encore là. Tu as arraché des mauvaises herbes comme une obstinée. Pourquoi est-ce que personne ne t’aime ? Pourquoi est-ce que personne ne se souvient de toi ? Toi, ce que tu veux, c’est qu’on t’encense. Pas qu’on se soucie de toi. Tu aurais bien trop peur. Personne ne se préoccupe de toi. Chacun sa vie toi ta non-vie.
On t’invite et tu dis non. Il faut qu’on vienne chez toi, c’est tout. Chez eux tu t’ennuies. Pas dans tes meubles. Loin de ton lit. Oh, comme tu as envie de mourir.
Tout ce que tu as l’air d’aimer tu le détestes. Écrire. Ta maison. Ce que tu aimes tu l’ignores. Jamais rencontré, jamais vu. Mille fois peut-être ? Jamais reconnu.
Tu te suspectes en permanence. Tout ce que tu fais est mal fait. Tout ce que tu fais te fait mal. Mal, mal, toujours mal. Oui, cela fait bien mal. Tu jouis ?
Et toujours sur ton lit. Toujours lui.
Et de repos, jamais. Sauf la nuit.
Si ça pouvait mordre un peu… Non, ça dérape. Ça englobe. Toujours les choses, toutes ces choses. Ensevelis dessous. Trop ; le monde est trop. Tous ces habits. Jamais nue.
Tous ces livres. Jamais silencieuse. Tous ces amis. Jamais préférée. Tous ces papiers. Si renfermée. Toutes ces heures. Toujours seule. Et cette tache sur le mur. Lui.
Quelle tirade ! Je vais me faire du thé. Tente de stopper la machine. Envoie mes minuscules pensées dans le fond de l’évier. Allume la lampe rouge. Plus d’yeux tristes.
Juste le bruit discret de cet arrachement de pansement. Sparadrap et peau se séparent. Le doux bruit crispé qui écarte l’adhérence. Tu vas cesser d’adhérer. Ce terrible hôte qui te colmate. Vêtement, bandelettes, velpeaux, collants. Il faut que l’angoisse revienne, avec son, goût violent de vie.

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(NB : Seigneur !! Pour qui est-ce que je prends Frédéric ?? Ça, une lettre ? Si je voulais lui faire peur, l’épouvanter, lui faire prendre la fuite, j’ai réussi mon coup !)
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Enfin les vacances. Je pars pour l’île d’Yeu

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13 AOÛT 1985

Ma chère Dominique,
Si avant-hier je pouvais te donner des nouvelles assez rassurantes sur papa, depuis hier il n’en est plus de même. Il avait de la fièvre et une rougeur diffuse et étendue près de la hanche opéré.
Le médecin de la Cité des Fleurs en l’absence du chirurgien qui l’a opéré à Ambroise Paré l’a fait transporter dans une clinique de Levallois, clinique Péreire, 1, rue Collange, Levallois-Perret 92300. Tél. 739-91-70.
Je l’ai quitté hier soir dans un état à la fois d’abattement et d’agitation, le chirurgien le mettant sous perfusion pleine d’antibiotiques et je vais téléphoner pour savoir comment il est ce matin.
État stationnaire me dit-on, un peu moins de fièvre.
Je vais m’expédier vers 17 heures à la gare de Levallois.
J’espère qu’à part le temps tout va bien. Où est Clara ?
Je vous embrasse,
Maman
Comme je ne peux téléphoner, appelle-moi après 7 heures du soir ou à l’heure du déjeuner.

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JEUDI 12 SEPTEMBRE 1985
Destin, désirs ? Tournent en rond et se mordent la queue.
Pas fraîche. Je me rencoquille avec détresse et soumission dans ma solitude, on me quitte et je ne rugis pas, je ne lutte pas. « Tu as l’air triste, tu as le regard triste ». Tous ils me le disent.
Docilité. Fatalisme. Sentiment que le temps se boucle sur lui-même et tandis que mon père meurt apparaît que je n’ai jamais cessé d’être leur fidèle esclave. Tout pour eux rien pour moi. (Mais « eux », c’est qui au juste ?? quels démons ?)
Seule une trêve au moment de procréer. Espèce oblige.
Monique, assise en face de moi, fait saillir par contraste tout ce que je n’aime pas en moi : lourdeur, componction, ennui, sérieux, tensions.
« Peur ! tu dis toujours que tu as peur ! »
–  Tu sais, le désir, la peur, même combat… la tension entre les deux, c’est ma vie ! »
Corde de violon prête à craquer, à chanter.
Le destin : peut-être rien d’autre que l’un de vos désirs ?
Tu.

SAMEDI 7 SEPTEMBRE 1985
Je vais voir papa à la clinique avec Rémy. Maman est là. Papa ne semble pas très réveillé. Première fois que j’y retourne depuis juillet et depuis l’île d’Yeu. Comme il a baissé ! Il ne me fait pas très bonne impression.
Il reconnaît Rémy mais il ne lui dit rien.

LUNDI 9.
J’y retourne. Il semble dans un demi-sommeil. Il me dit : « Quand est-ce qu’on part ? Est-ce que tu sais comment baisser ces trucs-là ? » Il montre la barrière du lit. Je dis oui oui. Il fait mine de se lever. Je n’ai pas le courage de baisser la barrière du lit. Je n’ai pas le courage de lui dire qu’on ne s’en va pas.

MERCREDI 11 SEPTEMBRE.
Toujours papa à la clinique. Il est trois heures. Il dort la bouche ouverte, respiration bruyante. Je n’ai pas le courage de le réveiller.
Je reste un moment. Il fait chaud., j’ouvre la fenêtre. Je laisse un mot pour maman : « Je suis venue, il dormait, je suis restée une demi-heure. Il ne s’est pas réveillé, je repars. »

14 SEPTEMBRE
Monique qui me demande si ça m’ennuie qu’elle donne rendez-vous à Alain chez moi, entre les pots de peinture.
C’est chez moi qu’il l’a rencontrée cet été. Elle peignait. Il était venu me voir.
Sorte de revenant. Pour moi, même pas un ex-amant. Mais un vrai souvenir.
Il était venu me voir en juillet, après toutes ces années. Il avait changé. Avait perdu ses cheveux. D’un comique assez triste : jeune cinéaste frémissant transformé en has been.
Nous avions devisé dans le jardin, autour de la table ronde. J’étais restée distante.
En août, il est revenu. C’est sur Monique cette fois qu’il est tombé.
« Je suis ici toute la journée, à peindre… Alain voudrait venir me voir ici…
Écoute, non, pas devant moi. Ça ne me fait rien que vous ayez une histoire ensemble, mais vous voir, le voir te regarder comme il me regardait, je ne le supporterai pas. »
Elle n’insiste pas.
Tous les soirs, quand je rentre, nous nous retrouvons.
De sa voix lente, elle pose des questions simple, juste ce qu’il faut.
« Tu n’as jamais vécu en couple sauf avec le père de tes enfants ?
–  Non. »
La syllabe résonne sur les murs trop blancs, entourée de silence.
Je lui dis : « Avec toi, je m’entends répondre. »
Elle me parle d’Alain. Je lui dis Alain, quel menteur. Il mentait tout le temps avec moi.
« Arrête, tu me fais flipper », dit-elle. Elle ajoute : « Je ne veux plus d’aventure avec un homme marié. »
Je ris : « En plein dans le mille ! »
Je lui parle de Michel, la façon dont il ne venait jamais à ses rendez-vous, la façon dont je finissais par me sentir irréelle.
« Non, Alain, ce n’est pas du tout comme ça. Lorsqu’il a dit je viens il vient, quand il dit je téléphone à telle heure il le fait. Heureusement, sinon je ne le tolérerais pas. »
De part et d’autre de la table, avec la grande nappe à carreaux, des silences, comme si on se promenait à la marée basse.
Soudain :

« Tu aimerais vivre avec quelqu’un , maintenant ?
– Oui.
–  Tu ne dis pas j’ai peur ?
–  Si.
–  C’est fou, tu dis toujours j’ai peur..
–  Et toi ?
–  Moi, je n’ai jamais peur. On verra bien après si ça ne marche pas. Il faut prendre des risques.
–  Tu n’as jamais peur ?
Long silence.
–  Jamais. »
Elle ajoute : « Il faut quand même que tu saches qu’il y a des moments, chez moi, où j’ai de sérieuses angoisses… des moments très durs, où ça ne va pas du tout… même si comme ça avec toi j’ai l’air bien. »

14 SEPTEMBRE 1985 AU SOIR
Moi, il faut tout me dire ; depuis le mode d’emploi du confessionnal et des cierges jusqu’à la façon de faire cuire un œuf sur le plat ou de repeindre les portes roses de l’entrée sans traces de coups de pinceau, sans coups de patte.
Si l’on ne m’explique pas les choses, je les invente à ma manière et je fais sans m’en douter tout ce qu’il ne fallait pas.
« Expliquez-moi, dis-je. Dites-moi comment vous faites et pourquoi c’est mieux. »
(Pas encore trouvé de livre mode d’emploi des hommes que je rencontre.
Pour eux-mêmes ils sont si évidemment l’évidence ! Ils ne soupçonnent pas que leurs hiéroglyphes, je ne sais pas les lire. Leurs allusions m’inquiètent. Je ne saisis pas à quoi ils font référence.)
Mes gros coups de pinceau sur la porte d’entrée ne plaisent pas à Monique. Une incongruité joyeusement remuante, exactement ce qu’il ne fallait pas. Elle s’esclaffe : « C’est n’importe quoi, ces coups de pinceau ! On aura du mal à les rattraper ! Pour poncer ça ! »
Je m’étonne : « Ah bon ? Je trouvais ça superbe… artistique ! Mon coup de patte ! »

DIMANCHE 15 SEPTEMBRE 1985.
Je déjeune chez maman, vais voir papa. Cela m’abat. Une journée de fichue.
Chaque fois que je vais le voir une chape de plomb me tombe sur les épaules.
Il a à peine ouvert les yeux. « Ah, tu es déjà là. »
Impression qu’il ne m’a pas reconnue, qu’il me prend pour maman.
Je lui donne un peu d’eau à boire, il a une quinte de toux. Je lui donne un calisson, il me fait un geste : « ça suffit ».
Il se rendort d’un sommeil agité. Ses mains très blanches, cireuses, agitées de Parkinson. Il me cramponne la main entre ses doigts crispés. Je lui mets la main sur le front, il est peut-être un peu chaud. Lui passe un coton imbibé d’eau de Cologne sur le front et sur les cheveux et ensuite avec le coton je me nettoie le cou.
Dehors il fait chaud, je transpire. Aujourd’hui je n’ai pas ouvert la fenêtre.. D’habitude pourtant dès que j’entre je ferme la porte et j’ouvre la fenêtre. Pas aujourd’hui.
Dans son sommeil il crie, il s’agite. Il dit quelque chose.

LUNDI 16 SEPTEMBRE
Monique n’est pas venue sur son chantier aujourd’hui. Elle me manque.
Alain sans doute.
Je ne lui téléphone pas. Discrétion.

MARDI 17 SEPTEMBRE.
Je quitte tôt le bureau pour aller voir papa. Une expédition.
Aucune parole. Je pose à nouveau la main sur son front, le caresse à l’eau de Cologne.
Vers 18 heures 30, quand je pars, une infirmière me dit dans le couloir :
« Vous ne restez pas plus longtemps ?
–  Je n’ai pas que ça à faire… Les enfants m’attendent. »

MERCREDI 18 SEPTEMBRE 1985.
Papa est mort à midi.

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VENDREDI 20 SEPTEMBRE 1985
Passé la soirée et la nuit rue Berteaux Dumas, chez maman. Anxiété diffuse, comme chaque fois que je vais là-bas et que je laisse les enfants, la maison – comme si je quittais la vie réelle, que tout cela n’était qu’un songe, comme si moi-même je n’étais plus qu’un mensonge, évanescente, inconsistante, pur fantasme d’autrui.
Maman m’avait dit : j’ai des choses à te dire. Mais elle ne m’a rien dit, seulement fait du poulet. Ensuite, on a regardé la télévision, « les Oiseaux se cachent pour mourir ».
Le matin nous allons à la clinique, récupérer les bagages de papa. Je demande d’une voix blanche : « Est-ce que c’est possible de le voir ? » L’infirmière dit « Mais bien sûr ». Je dis : « Ce n’est pas trop impressionnant ? » Maman dit : « Si, avec la mentonnière. » L’infirmière dit : « Je vais la retirer ». Je demande à maman : « Tu ne veux pas y aller ? » Elle dit : « Non, je l’ai déjà vu hier ». L’infirmière me conduit au sous-sol. Elle ouvre une porte. Il y a écrit : « Défense de fumer ». Puis une autre porte, coulissante. Une sorte de chapelle. Elle dit : « Attendez. Ensuite, vous pouvez y aller. » J’entre.
Il est là.
Première fois que je vois un mort, et ce mort c’est mon père. Visage impressionnant de calme, très beau, très lisse et très cireux, pur et solennel, réduit à son architecture osseuse.
Jamais je ne lui ai vu cette expression de sérénité. Plus rien ne le harcèle, sans doute. Je m’approche doucement. De profil il est plus beau, majestueux. Ressemble à un gisant. Mains posées à plat sur le ventre. Vision très forte. Qui était-il ?
Qui avait-il été ? Et qu’est-ce qu’un père ?
Je lui murmure tout bas : « La lumière. Va vers la lumière. »
Son teint est plus lumineux, moins brouillé que de son vivant. Je suis frappée d’un coup de tonnerre. Une impression très forte, très solennelle, comme devant la cathédrale de Strasbourg.
Je me suis mise à pleurer. Je n’arrivais pas à sortir de la chambre mortuaire. J’avais le sentiment aigu que c’était la seule fois de ma vie que je le verrais ainsi. Mais je ne voulais pas faire attendre l’infirmière. Je suis sortie. J’ai balbutié : « Il a l’air très serein, très apaisé. » Elle m’a dit : « Il va être très beau. » Ce futur m’a étonnée.
Je suis remontée. Maman m’attendait avec les valises et le déambulateur qui n’avait jamais servi à rien, qui n’allait servir à personne.
J’ai monté les valises rue Berteaux Dumas. La petite femme de ménage mauricienne m’a regardée d’un air noyé. J’ai regardé par le balcon. Maman tournait autour de l’obélisque pour se garer. Ensuite, je suis partie pour donner mon cours de yoga.
En chemin, je me suis rendu compte que je ne pourrais pas le faire, que je ne voulais pas le faire. Qu’aujourd’hui je ne pouvais pas faire comme si de rien n’était. Toute ma vie j’ai fait comme si de rien n’était.
Rue de Sèvres à Boulogne il y avait seulement Moncouquiol et Menezo. J’ai dit mon père est mort, je ne peux pas faire le cours de yoga aujourd’hui, mais je veux bien vous parler. Et votre bébé il est né ? Menezo m’a parlé de sa fille qui est née en juillet, de l’accouchement de sa femme, une césarienne. Il en a parlé longuement. J’ai dit c’est comme mon père, à la fin il redevenait comme un bébé, il fallait le nourrir comme un bébé, le faire boire avec une tasse de bébé. J’ai dit : « Quelqu’un meurt, quelqu’un naît, c’est la vie. »
À quatre heures et demie, c’était la mise en bière à la clinique. Maman en robe noire et en veste blanche. Moi. Jacqueline. Maman a embrassé le front de papa dans le cercueil. J’étais très mal à l’aise. Elle a dit en regardant les dentelles blanches : « Ces chouchoux ! », elle a ajouté : « Il n’y a pas trop de place, c’est un peu juste. » Un moment, j’ai cru voir papa bouger la paupière et j’ai été terrorisée. Était-on bien sûr qu’il était mort ? Maman a soupiré : « Cinquante-trois ans de mariage, tout de même. »
Samedi, enterrement à Saint-Pierre de Neuilly. J’aime mieux ne pas en parler. Pas vraiment beaucoup de monde, pas vraiment une belle cérémonie, pas de condoléances. Entre Bernard et maman je me sens mal. Je n’ai pas envie de pleurer. Je n’ai pas de sentiment. Je ne ressens rien.
Au cimetière, je dis à Jean-Pierre : « Est-ce que tu veux venir déjeuner à la maison avec Charlotte ? » Il dit oui. Il ajoute :  « Ce soir je quitte mon appartement, je vais chez des amis à Saint-Cloud avec Charlotte parce qu’on nous envoie des sorts, il y a une sorcière au-dessus de chez moi qui m’envoie des ondes, je te raconterai. Au fait, tu as de la place au Vésinet pour me loger avec Charlotte ? Je pourrais venir y passer huit jours. »
Je suis atterrée.

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LE SOIR DE L’ENTERREMENT DE PAPA
Dans le jardin, ce soir, Clara, à Monique qui range ses pinceaux :
« Papa a dit : quelle famille ! quelle décadence ! Quand on voit ses frères ! En fait, j’ai épousé le seul homme de la famille. »
Monique se tourne vers moi : « Et ça te plaît, ça ? »
Moi : « Pas tellement. »
Elle : « Moi non plus, à la réflexion, ça ne m’aurait pas tellement plu. »
Moi : « Il voulait peut-être dire qu’il avait épousé la seule personne adulte de la famille ? Les gens confondent souvent. »
Elle : « Tu crois que les gens confondent encore homme et adulte ? »
Moi : « Oui, je crois que les gens font ça très souvent… Mais en fait, quand je me suis mariée, j’étais tout sauf adulte… Maintenant oui, mais quand il m’a épousée, j’étais vraiment jetée. Ensuite, ça a changé. Les enfants, ça m’a ancrée. »

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LUNDI 23 SEPTEMBRE 1985

Cher Frédéric,
Papa est mort mercredi.
Vendredi je l’ai vu dans la chambre froide.
On l’a enterré samedi.
Après l’enterrement, il n’y a pas eu de repas de famille. Mon frère Bernard a juste invité à déjeuner ma mère, ma tante et mes cousins germains.
À la sortie du cimetière, j’ai dit à mon frère Jean-Pierre : « Est-ce que tu veux venir déjeuner à la maison avec Charlotte ? »
Il a dit oui.
Mon frère Jacques est rentré chez lui tout seul avec sa femme et ses enfants.
Jean-Pierre m’a demandé : « Est-ce qu’il y a de la place au Vésinet ? Il faut que je quitte Saint-Cloud, je suis menacé de mort, c’est vital, c’est énorme, c’est très grave, on m’attaque la nuit, on veut me détruire le cerveau, je t’expliquerai. »
J’ai répondu : « Il y a de la place. Pourquoi est-ce que tu dois quitter Saint-Cloud ?
–  Des sorcières veulent ma peau ? Je t’expliquerai ? C’est infernal. Je vis un enfer. Je suis en proie à la femme-serpent, la grande sorcière universelle. Tu vois ce que je veux dire ?
–  Pas vraiment. »
(Ensuite, j’ai vu.)
Dimanche, j’invite maman à déjeuner, ma tante, la famille de mon cousin germain. Il y a Jean-Pierre.
Maman raconte son accident en 1950, comment elle a été renversée par une voiture avenue de Neuilly. J’écoute cette histoire pour la vingtième fois. Comment la voiture lui est tombée dessus. Comment elle n’a pas bougé.
Jean-Pierre décide de partir à la piscine avec Charlotte.
Au moment de partir, il dit à maman : « Reconnais au moins que cet été, en quittant le Pyla, j’ai laissé la maison impeccable. »
Maman toussote : « La femme de ménage m’a dit qu’on voyait bien que la maison avait été occupée par un homme seul. 
–  Et qu’est-ce que ça veut dire ? » se met-il à hurler. « Dis-le ! »
Il part à la piscine en sanglotant : « Mais oui, c’est bien connu, je fais tout mal, toujours mal, rien de ce que je fais n’est bien, je ne fais jamais rien de bien ». Il entraîne Charlotte à sa suite.
La conversation reprend. On parle de l’affaire Greenpeace.
Maintenant, maman s’en va. Toute seule. « Pas trop tard pour pouvoir me garer rue Berteaux-Dumas ». L’oxygène revient.
Je demande à ma tante : « Elle était comment, maman, quand elle était jeune ? »
Ma tante : « C’était la dernière, elle a été adulée. Il n’y en avait que pour elle, surtout pour la parure, le vêtement, le paraître. Nous aurions pu être jalouses. Mais nous ne l’avons pas été.
­Et son mariage avec papa ?
–  Il était plus âgé. C’était une petite fille. Ta mère ne sait rien de la vie. Ton père a passé sa vie à la protéger de la vie. Il a été très patient, avec elle. »
Je marmonne : « Il a été trop patient. »
Ma tante reprend : « Dis-toi une chose, que ta mère est une enfant, et que c’est toi l’adulte. »
Mois : « Je suis bien placée pour le savoir. »

Le soir, Jean-Pierre revient défait. Il me dit : « Demain, je resterai ici avec Charlotte, c’est trop dangereux de sortir, on veut notre peau je t’expliquerai, on nous jette des sorts, tu vois ce que je veux dire ? »
Je réponds : « Ce que je comprends, c’est que tu vis une angoisse mortelle, et que tu ne peux pas rester comme ça. »
Il sanglote : « Ça ne lui aurait quand même pas coûté très cher, de me dire que la maison du Pyla était impeccable … 
Je dis : « Je suis sûre qu’elle était impeccable, je me doute bien que tu avais tout briqué… »
Il hurle : « Je suis tout seul, tu comprends, tout seul, personne ne m’aime… »
Le soir, nous allons acheter ensemble des cigarettes à Saint-Germain dans sa BMW. « Elle est superbe, ta voiture, un soir, on pourrait aller au cinéma dans ta voiture avec Charlotte, Charlotte tu as envie d’aller au cinéma ? »
Charlotte s’exclame : « Oh oui ! »
Au retour, il gare sa voiture à 200 mètres, dans une rue obscure.
« Je ne veux pas qu’on me repère. Tu vois ce que je veux dire ? »
On va dîner. Clara annonce à la cantonade : « Lundi je ne dîne pas là, et mercredi non plus. »
Je la prends à part : « Je veux bien recueillir Jean-Pierre quelques jours si c’est vital pour lui, mais je ne veux pas que ce soit à votre détriment. »
Clara : « Il est flippant. »
Je lui dis : « Bon anniversaire quand même… on te le fêtera jeudi soir, quand Rémy sera là… mais je ne t’ai pas oubliée, j’y pense. »
–  À quelle heure je suis née ?
 Attends que je me souvienne… A une heure de l’après-midi. Ton père assistait à l’accouchement, alors que pour Rémy, non… »
Jean-Pierre descend, avec Charlotte. Je me tourne vers lui :
« Demain, on fêtera ton anniversaire… Un gros gâteau avec 42 bougies ! »
Gilles choisit ce moment pour me téléphoner. « Demain soir, il faut que tu fasses réviser son histoire à Boris, on y a passé la journée et il croit toujours que Dreyfus était président de la République. »
Nous dînons.
Boris revient de chez Gilles à 10 heures. Il n’a pas l’air bien.
« Demain, on révise ton histoire. Ton père m’a appelée.
 – S’il te plaît, laisse-moi tranquille. Je ne suis pas bien disposé. »
Conjonction de dates : on a enterré mon père le 21 septembre, jour de l’anniversaire de Bernard. Le 22, c’est l’anniversaire de Clara. Le 23, celui de Jacques et Jean-Pierre.
Ce matin, Jean-Pierre a emmené Charlotte à l’école et il est parti travailler.
J’ai téléphoné à Baptiste pour tout lui raconter. Me délester un peu.
Maintenant, il faut que je m’occupe de ce gâteau d’anniversaire, et on est lundi. Boulangeries fermées.
Moi-même, je ne me sens pas très bien !
Je t’embrasse !
Dominique.

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LE 27 SEPTEMBRE 1985
Chez maman. Elle me donne la montre de papa.
Elle est en beige, rayonnante, assise sur le divan de la salle à manger. Très occupée. Le notaire, le testament, la succession. Me montre les chaussures, les vêtements, sous-vêtements de papa. « Si ça intéresse les garçons ? » On dirait qu’il est toujours là, qu’il n’est jamais parti. Le pardessus de cachemire. Le caleçon long. Les bandes molletières de l’armée. Ses photos dans le salon. Elle a changé l’ordre.

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Cher Frédéric,
Toujours sans voix au téléphone, et moi qui parle, qui parle, colmatage mécanique, au lieu de laisser le silence. Je ne vais tout de même pas te dire que je n’aime pas que tu téléphones, mais j’aime mieux tes lettres. Plus mordant. Tu t’y ressembles plus.
Ta névrose ? Ta pathologie du travail ? Est-ce que tu me posais une question là-dessus, est-ce que tu désirais que je te dise ce que j’en pense ? Les enfants ? Toi ? Je préférerais te demander de tes nouvelles, te dire : « Qu’es-tu devenu Frédéric depuis tout ce temps-là ? » Si longtemps que je n’ai plus de tes nouvelles. Si longtemps que tu me dis : « Voilà ce que je fais, voilà ce que je fais », jamais « voilà ce que je suis ». Si longtemps que je m’ennuie avec toi (ou de toi), si longtemps que tu n’as plus rien à me dire, à me demander… ah si, sans doute, que je t’agresse, que je récrimine. Si je t’accusais là au moins tu pourrais te défendre. Mais non. Je ne te reproche rien, comme on dit. Je me laisse quitter sans que le mot quitter soit prononcé. Je ne lutte pas, je ne me bats pas. Tolérante au possible. Peut-être que tu as envie que je te dise des vérités bien méchantes. Mais je ne te vois plus d’assez près pour avoir des vérités à te dire, je ne sais plus rien de toi, voilà tout. Comment s’intéresser à quelqu’un dont on ne sait plus rien sinon qu’il se drogue de travail et qu’il s’intéresse à quelqu’un d’autre que vous ? Cela devient artificiel, irréel.
Sache-le, la tolérance n’est pas le fond de mon caractère et depuis des années je me retiens de te dire à quel point me semble navrant le peu de soin que tu prends de toi-même. Sous mes yeux un faux-self s’édifie depuis l’ENA. Frissons dans le dos quand tu dis que tu travailles le soir. Frissons dans le dos quand tu dis que tu ne lis jamais de littérature, et jamais rien pour ton plaisir. « Il y a des gens qui ne tolèrent pas lorsque quelqu’un change », m’as-tu dit une fois. « ils ne veulent pas perdre l’image qu’ils avaient de lui. » Puissante parole. Je l’ai longuement méditée, je t’ai donné raison. Tu avais bien le droit de changer et de décevoir les attentes de certains qui croyaient t’aimer. Tu avais à te prouver tant de choses, tu te les es prouvées. Je peux comprendre. C’est un stade de la vie. Nul ne fait l’économie de cela. J’ajouterai qu’en quittant Nathalie tu as quitté un certain style de vie, où l’esthétique était prégnante, malgré tous vos malheurs. Ensuite, chez toi, je n’ai plus retrouvé cette élégance, ce style. Sans doute et je l’espère, avec Mariella retrouves-tu cela : du panache. Tu sais à quel point je n’aime pas les petits bourgeois, tu m’as dit que la famille de Mariella c’était la grande bourgeoisie bohême. Là, tu as toute ma sympathie. Pour le reste, je t’ai trouvé ces dernières années crispé, déprimé, sans humour. Moi-même je me sentais assez déprimée. Tu étais si important pour moi que je soupçonne que tu n’y étais pas pour rien. Maintenant, je change de fréquentations : je vois des angoissés, des gens qui ne dorment pas leur vie, mais qui bouillonnent d’angoisses, qui délirent presque, ultra-sensibles, qui reçoivent des chocs en plein plexus, qui vaticinent, qui sont extra-lucides. Qui écrivent, qui parlent, qui pleurent, qui posent des questions.
Moi aussi je deviens angoissée. Mais ça me réveille. Toi, tu colmates trop tes angoisses. Tu ne les dis pas assez. Si, à moi. Je ne sais pas. Je ne sais plus. On a trop fait semblant. Et puis enfin quoi c’est marre, tu vas bien : belle situation, bel amour. Ah, c’est vrai, les enfants. Mais qu’est-ce que tu me demandes, à la fin ? Du réconfort, ou de l’inquiétude ? Moi mon père vient de mourir. C’est le monde qui s’écroule. Je ne réalise pas encore très bien. Dans les lettres de condoléances, son esprit clair, sa rigueur, sa probité, son bon sens et son pragmatisme, sa fermeté, son sens de la négociation… Rien du côté de l’érudition, de chichi, du savoir, de l’autorité, des principes, du « ça se fait » ou « ça ne se fait pas », ni même du brio. Je suis contente de lire ça. Rien que de la table rase. Mon père table rase.
En fin de compte, je ne sais pas si je t’enverrai cette lettre.
La mérites-tu ?

… Mais non. Ce n’était pas à cause de toi que j’étais déprimée, c’était de voir mon père s’éteindre. Rapetisser. Diminuer. Marcher à pas comptés. Sommeiller. Somnoler. Retourner à l’enfance. Comme disait mon frère Bernard, « il faut comprendre que papa est devenu un très vieux monsieur ». Comment faire coller ces deux termes ? Papa, le héros, le surhomme, et ce vieillard infantile qui somnole bouche ouverte devant la télévision, met un quart d’heure pour enfiler son pardessus, prend sa canne, trottine les jambes pliées, mais surtout, oui, surtout cela, s’absente ? Depuis quand ai-je eu le sentiment que je n’avais plus de rapport privilégié avec Papa ? Depuis-quand ai-je laissé tomber les bras ? Depuis quand ai-je renoncé à lui réclamer mon dû, à récriminer, à plaider, à lui crier : « Raconte-moi des histoires ! Raconte-moi ta vie ! Reconnais-moi ! »

Juillet 1984 au Pyla. Il me dit : « Tu ne cherches plus le contact avec moi. » Depuis quand avais-je renoncé ? Depuis quand cette impression d’avoir reçu de lui une fin de non-recevoir ? L’infarctus de maman en novembre 83 ? Je me rappelle, maman était à la clinique, moi, j’avais déjeuné avec Papa, à Neuilly. Je l’avais fait parler de lui, lui avais posé des questions. Est-ce cette fois-là qu’il m’a raconté ses débuts dans la vie, quand il faisait le tour de France à vélo de garage en garage pour vendre des pneus, un catalogue Michelin dans sa sacoche ? Représentant pour la maison Michelin. Image attendrissante, démodée, peu conforme à l’idée qu’on se fait à l’heure actuelle d’un diplômé de Supdeco : le petit cycliste. Ou bien est-ce cette fois-là qu’il m’a parlé de sa tuberculose contractée à la fin de ses études, me disant en riant : « Par la suite aucun médecin n’a trouvé aucune trace de cette tuberculose, ou de cette primo-infection, c’était bizarre comme maladie ». Et moi de penser in-petto que c’était sûrement une dépression due à la une chute de tension trop brutale après trois ans d’études où il travaillait jour et nuit pour sortir major de sa promotion – eh bien ça y est, tu l’es, premier, tu l’as obtenu, et après ? Le grand vide.
Au moins, avec ma mère, il ne risquait pas d’arriver à ses fins. Jamais contente. Insatisfaite. Elle ne risquait pas de lui dire : « C’est ça, c’est bien, c’est très bien, tu es le meilleur… »
À ce déjeuner, il me raconte sa vie. Au café, ma belle-sœur arrive. « Bonjour père !… Mais vous avez l’air en pleine forme ! Qu’est-ce que tu lui as fait ? » Le petit vieillard avait disparu, le sang était revenu aux joues, l’animation. Toute la silhouette épanouie, regonflée. « Il a vingt ans de moins ! » s’exclame Jacqueline.
Ensuite, je file à la clinique, où maman m’explique bizarrement son infarctus. « J’ai l’impression que mon cœur s’est ouvert. » Elle est volubile, elle parle tout le temps. Dans la chambre à trois lits, elle entend toutes les histoires de ses copines de dortoir. La voilà redevenue jeune fille, pensionnaire chez les Sœurs, guettant les histoires des grandes. Rien que des histoires d’amour, de ruptures, de vengeances, d’abandon. Du mélo. « Les histoires que racontent ces deux femmes, mais c’est Zola ! » s’exclame-t-elle. Ravie. Ah, entendre parler en direct de la vie ! Rue Berteaux-Dumas on est trop
protégé. N’est-ce pas maman ? Moquettes, tentures, voilages. Les relents de la vie arrivent bien filtrés. Tamisés. Oxygène raréfié. Aseptisé.
« J’ai horreur de cet appartement », me dit-elle aujourd’hui. « Je veux déménager. Faire ma vie. Un appartement rien qu’à moi. Une vie rien qu’à moi. »
Elle bazarde les vieux livres, les vieilles affaires. Les paperasses, comme elle dit. Quand Papa était là elle n’osait pas. Des années de rancœur dans le fond des placards. Veuve rayonnante, enfin majeure – à 74 ans. Mais oui. Tu peux. Tu as le droit, toi aussi, d’être une grande.
Depuis quand ai-je cessé de m’immiscer dans la vie de mes parents ? Depuis quand ai-je cessé de croire maman une sorcière, et papa un héros ? Depuis quand ai-je cessé de donner raison à mon père contre ma mère ? Il me répondait toujours : « Tu n’es pas raisonnable, sans ta mère, qu’est-ce que je deviendrais ? essaie donc de comprendre. » Juste retour des choses. Il avait subvenu à ses besoins. Maintenant, il avait besoin d’elle. Pour le reste, l’amour, le désir, la tendresse, ils n’en laissaient suinter que très peu.
Si, une fois, en mars, rue Berteaux-Dumas, juste après l’hospitalisation de mon père, maman, d’une voix changée, devant moi, à son chat : « On est bien tristes, hein, mon pauvre Zinzin… il nous manque. »
Clara : « Dans cette famille, on ne parle qu’aux chats…
Moi, à mi-voix : Mmmm mm…
Clara : Maman aussi, elle ne parle qu’aux chats…
Monique : C’est vrai, ça ?
Moi : Ouais, ouais, c’est vrai…
Clara : Ces sales chats… »
Oui, j’ai été déprimée de comprendre que leur histoire de couple était leur histoire bien à eux, que je n’avais pas à faire la justicière, la redresseuse de torts. Lorsque Jean-Pierre a fait sa dépression, il s’immolait pour donner une raison de vivre à maman, pour qu’elle se croie indispensable. Dans cette famille, les femmes ont besoin de se sentir indispensables. Moi, je me sens superflue. Vrai ou faux ?
Mes révoltes en analyse : « Comment peut-on être une mère ? Pitié pour les mères ! Chargées de tous les maux ! »
Mais ma mère n’était pas une mère. Juste notre rivale, la fille de mon père, et tous, tous, sauf Bernard, nous étions des cadets dangereux, nous aurions pu vouloir nous approprier notre père (surtout moi). Il était à elle, rien qu’à elle, elle était sa seule fille, surtout ne l’approchez pas, pas touche !
Jamais mère, jamais femme. Dis, papa, tu avais tellement peur des mères, des femmes ? Ah ! comme vous vous entendiez bien ! Ah, comme vous étiez sourds l’un à l’autre ! Tellement d’accord pour être sourds ! En vieillissant, les choses ont peut-être changé. Toujours perfide j’ai demandé : « Alors, Papa, depuis que tu n’as plus d’activités extérieures, tu ne t’ennuies pas trop, toute la journée, à la maison ? » C’était au Vésinet, dans le jardin. Maman s’est trémoussée sur son siège, a mis sa main sur le genou de papa. « Eh bien non, pas du tout, on est très bien, tous les deux ! » Geste de propriétaire. Geste tendre. (Elle l’avait quand même empêché de répondre.)
C’était, je m’en souviens bien, la première communion de Boris. Il faisait beau. Les fleurs étincelaient. Les feuillages bruissaient. La table Louis XIII était sortie, entièrement déployée, plantée dans l’herbe avec ses pieds massifs comme les colonnes torses d’un autel. Juste sous le tilleul. J’avais étalé la nappe rouge.
Pour le dessert, Stanislas est arrivé, pas feutrés, démarche élastique, regard aigu, voix rauque, sourire qui remonte du bas-ventre et secoue tout son corps. Il était de passage. Justement, on célébrait ce jour-là le rite d’un passage. Quand mes parents sont partis, nous avons fait l’amour dans le fond du jardin. Ensuite, j’ai écrit un poème. Ce jour-là, le temps a peut-être basculé.
« Il est cardiologue, ton ami ? – Oui, un cardiologue de passage. »
Dans cette famille, on a toujours besoin d’un cardiologue.

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(Lettre sûrement pas envoyée à Frédéric, mais qui sait ?)
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Je reviens sur la journée du 22 septembre. Ce dimanche. Ce déjeuner à la maison. Maman, sa sœur Germaine, Jean-Pierre, Charlotte, Philippe et Nicole F, mes cousins, moi et les enfants. La table est dressée dehors. Nappe rouge. Il fait beau.
Clandestine dans la maison, Monique au dernier étage, qui peint.
Drôle de journée. C’est l’anniversaire de Clara, mais personne n’en dit mot.
Ses 19 ans.
Les apartés dans la cuisine avec Nicole, avec Monique. Clara et Monique qui chuchotent.
La sortie de Jean-Pierre. Mes questions à Germaine.
« Quand elle s’est mariée, elle était encore une enfant. Tout de suite, elle a été enceinte. Ta mère n’était pas préparée à cette grossesse. Et ma mère qui s’est emparée de cette grossesse, qui s’occupait de tout, elle était tout le temps fourrée chez eux, c’était SA grossesse. Elle y allait tous les jours. Ma mère, c’était une personne qui se croyait in-dis-pen-sable. Qui se mêlait de tout. C’est un trait familial. Sa propre mère et sa grand-mère s’écrivaient tous les jours, elles se disaient tout. On a retrouvé cette correspondance.
– Où est-elle ?
– Probablement chez Solange. Ou chez ta mère.
– J’espère que non, maman jette tout.
– Tu te rappelles sans doute qu’à une époque ta grand-mère était dans cette maison de retraite à Neuilly. Eh bien elle était chez tes parents tous les jours.
– Oui, je me rappelle. J’adorais ma grand-mère et je détestais maman. Maman n’a rien eu à elle, même pas ses enfants. »
On débarrasse la table. « On va peut-être s’en aller », dit Nicole en rougissant. « Je ne voudrais pas être trop tard, pour apercevoir Isabelle qui repart à 6 heures. »
On s’embrasse. Ils repartent tous.
« Drôle de journée », dis-je à Monique, qui a quitté ses habits de peintre et se dirige vers la grille. « Oui, vraiment, drôle de journée.
–  C’est la sœur de ton père, ta tante ?
–  Non, la sœur de maman.
–  Elle est très chouette… Je trouve que tu lui ressembles. »
Jean-Pierre revient de la piscine, défait, bouffi, surexcité, sanglotant.
« Eh bien ma décision est prise, demain Charlotte et moi restons ici, c’est très important, elle ne va pas à l’école, ce n’est pas grave. – Si, c’est grave, dis-je. Il faut qu’elle aille à l’école. C’est sa vie de petite fille. Tu la conduiras en voiture, et ensuite, tu iras travailler. Sinon, je vous garde pas. »

Le surlendemain, je parle de tout ça au bureau à Régine BD, que j’aime bien. Beaucoup de branche. Une psy.
« Je lui ai fait un gros gâteau d’anniversaire, dis-je à Régine.
–  Je te trouve formidable ! un gâteau d’anniversaire ! ça veut dire que c’est la vie qui continue !
–  Il était en larmes, il disait : « personne ne m’a fait de gâteau d’anniversaire depuis six ans, ça faisait six ans que j’attendais ça ».
–  J’aime beaucoup ta façon de l’accueillir, de faire venir des tiers, il fallait faire, tout de même !
–  Oui mais il m’a beaucoup apporté. Moi aussi je suis une ancienne folle. »
Elle sourit. Elle a l’air ému.
Elle a marié sa fille en juillet.
*
« Tu lui as sauvé la vie, dit Régine. Il était peut-être menacé de mort.
Oui mais enfin, ces histoires de sorcières, tout ce montage, et le bonnet en plastique pour se protéger des ondes maléfiques… tout de même ! Excuse-moi !
–  Oui, je dis bien : il était menacé de mort. Il y a des gens qui se suicident. »
« Écoute, dit Jean-Pierre, je vais partir ce week-end. Je suis passé dans mon appartement à Saint-Cloud, je peux y retourner maintenant. »
Il va me manquer.
Au fond, il m’aura tenu compagnie pendant ce temps de deuil. Il l’aura rendu mémorable.
Je lui ai offert un livre de Georges Duthuit, Le Feu des signes. J’ai écrit en dédicace : « À Jean-Pierre, qui m’a aidée à faire de cette période de deuil une période de retrouvailles. 21-28 septembre 1985. »

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