As-tu encore ma force de te souvenir ?
J’avais, ce printemps-là, trente ans, et le visage
Plus souvent éteint qu’éclairé portait le masque
De terribles lunettes noires en plein hiver, jusque
Dans l’ascenseur et dans la cave, comme des yeux au beurre noir.
Tu ignorais à quel point j’avais besoin de réverbérations,
Et tu serrais les dents parce que j’ignorais, Adam,
Que je t’aimais. Toi, tu étais l’amoureux-né
Et moi en la matière j’étais bien équivoque
Car je me demandais ce qui se produirait lorsque
Tu ne serais plus épris de moi. Or, il est sûr
Que cela devait survenir un jour, il faudrait alors
Que tu pusses trouver le passage secret dans le mur,
Tu sais, le gué, le changement de vitesse ou d’amure
Qui à l’amour fait prendre son second murmure.
Comme tu ne l’envisageais guère, je m’évertuais
A t’échapper pour que tu pusses
Toujours courant courser mon ombre et galoper d’amour
Et croire ainsi que tu m’aimais et m’adorais toujours.
Souviens-toi. C’était le samedi des Limbes
Où l’on dit que le Christ descendit aux enfers
Pour réveiller Adam et Eve de leur cure de somnolence
Car ce brave petit couple croupissait en souffrance
Des événements qui pour eux n’étaient pas advenus.
J’étais nerveuse et j’avais peur. Mais tu me dis
Que tout se passerait bien. J’y crus.
Nous arrivâmes à l’église, et il y eut
Quelques pas à faire en avant
Où je me détachai de toi et des enfants. C’était le jour
De ma conversion, et des personnes inconnues
Chantaient : « Nous avons revêtu le Christ », et je reçus
Paraît-il, l’Esprit-Saint dans des croix d’huile Lesieur,
Puis je fis trois fois le tour du Grand Livre,
Et tous ces gens qui m’embrassèrent étaient en train de supputer
Que tu te convertirais forcément à ton tour,
Mais je ne le désirais guère. C’est ainsi
Que je réintégrai le paradis perdu
Et te fermai la porte au nez. C’était foutu.
Car là, pour m’attraper, il ne fallait plus courir, mais sauter,
Oui, faire le saut périlleux
A cloche-pied pour l’éternité.
